PARASITE de Bong Joon-Ho : Very fine people, on both sides
Parasite est le premier film de Bong Joon-Ho à se retrouver en compétition officielle à Cannes. À l’heure où nombre de réalisateurs peinent à absorber et à prendre en compte les enjeux de notre époque dans leur mise en scène, le maître du genre coréen, toujours déterminé à raconter la lutte des classes, réinvente ses propres codes. Il livre ainsi un film d’une modernité et d’une élégance époustouflantes.
Dans ce film en miroir déformant, tout le monde est prisonnier, par nécessité ou par peur des menaces extérieures. Deux familles se retrouvent liées l’une à l’autre : celle du-dessous tente coûte que coûte de sortir de la pauvreté de son entresol, et celle du dessus goûte au savoir-vivre aseptisé dans sa maison d’architecte. Un peu comme si Downton Abbey et son modèle pyramidal impérialiste se déclinaient encore à notre époque en Corée du Sud. Les voies de l’universalité sont donc bien impénétrables. Et inéluctables…
Après The Host, la menace viendra-t-elle encore des égouts ? Où se tapit donc cette fois la bête immonde ayant vocation à détruire l’humanité déjà malade de son système et de ses vices ? Bong Joon-Ho, fidèle à ses convictions politiques, déploie dans Parasite une mise en scène précise, à vocation grand spectacle, pour questionner l’asymétrie de la violence de classe. Mais il saisit l’occasion de se réinventer et ne passe pas par où on l’attend.
L’intégralité de la famille du dessous va ainsi saisir sa chance de sortir de la misère en entrant clandestinement au service de l’autre. Si Parasite pourrait être résumé rapidement en “Funny Games version Grand Guignol”, l’acuité et la maîtrise de la mise en scène de Bong Joon-Ho nous scient littéralement en deux. Tous les enjeux sont habilement balisés, rien n’est gratuit, tout est verrouillé et surprenant en même temps. L’histoire est a priori improbable, le scénario musclé, le montage gonflé aux stéroïdes, l’image léchée, les décors spectaculaires. Pour autant, ce choix de l’outrance est partie intégrante de la violence de ce qui est raconté. La manipulation est mise en scène sans faire partie du dispositif du film. C’est-à-dire que la manière dont le film raconte la duplicité en assumant sa forme et ses artifices est une marque de respect pour l’intelligence du spectateur, et non de la poudre aux yeux.
À l’heure de questionnements cruciaux autour de l’évolution du cinéma, peut-on encore filmer les enjeux politiques et sociaux en faisant valoir avant tout le sérieux et la pertinence de la démarche, tout en se cachant derrière l’austérité, ou la pauvreté, de la forme ? Ou par la position dogmatique d’un réalisateur (ou d’une fratrie de réalisateurs) ? On serait ravis que les tables tournent un peu. Et si le cinéma saisit sa chance d’évoluer, Bong Joon-Ho y sera pour beaucoup.
Parasite. Un film de Bong Joon-Ho. Avec : Song Kang-Ho, Cho Yeo-jeong, So-Dam Park… Durée 2h12. Sélection : Cannes / Compétition officielle. Sortie France : 5 juin 2019.
Photo en Une : Copyright The Jokers / Les Bookmakers