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On Becoming a God in Central Florida : Alligators et chercheurs d’or

Comment foncer droit dans le mur quand on est aveuglé par le rêve américain ? Avec du blush, de la laque et des chansons géniales bien sûr !

C’est en tout cas une bonne base pour se fondre dans la masse et suivre les mésaventures de Krystal Stubbs. Car pour quelqu’un qui ne désire rien tant que vivre sa vie tranquillement, Krystal (Kirsten Dunst, parfaite, comme toujours) commence à en avoir ras la visière. Elle qui n’a rien demandé à personne se voit pourtant bien obligée de retrousser les manches déjà courtes de son chemisier synthétique et de se démener pour assumer les bêtises de son mari, afin de garder un toit au-dessus de la tête de leur bébé, Destinee. Tout cela a pour toile de fond une banlieue sans éclat d’Orlando où viennent s’installer ceux qui y croient encore, dont son mari (Alexander Skarsgård) qui ne lui laisse pas le temps de s’ennuyer. Entre deux biberons, elle doit surveiller qu’il ne se laisse pas totalement embarquer dans une arnaque qui risquerait bien de les ruiner. Pour y arriver, elle peut compter sur ses atouts, à savoir son audace, sa pugnacité, son optimisme vaguement naïf et même son physique s’il le faut, mais toujours à son avantage. 

Vive les mariés !

Les deux acteurs se retrouvent à nouveau mari et femme, huit ans après avoir fêté leurs noces à des milliers de kilomètres de là, dans la campagne suédoise luxuriante du Melancholia de Lars von Trier. Ici, on change de taux d’humidité, et la vie de château laisse la place aux suburbs américains, où le jeune couple va devoir affronter des réalités autrement plus terre-à-terre (sans mauvais jeu de mots). On les découvre ainsi en jeune maman un peu gourde et en employé bas du front. Leurs interprètes se retrouvent avec un plaisir contagieux et s’amusent à jouer avec leur image, prouvant au passage qu’ils sont aussi doués pour le drame que pour la comédie, genre dans lesquels ils s’aventurent peu. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Kirsten Dunst dans un rôle aussi riche et nuancé, à la hauteur de son jeu. Face à elle, une véritable révélation ; le jeune acteur Québécois Théodore Pellerin est magistral en Cody Bonar, un laquais pathétique, dévoué jusqu’au bout au “Système Garbeau” et à son fondateur qu’il vénère, Obie Garbeau II.

La qualité du programme réside aussi dans sa direction artistique. L’histoire étant située au début des années 90, la frontière avec les eighties reste encore un peu floue. Par conséquent, tout est visuellement moelleux à souhait, à grands renforts d’intérieurs feutrés à grosse moquette, stylisme capillaire tout en audace, coussins à fleurs, chouchous à fleurs et robes à fleurs. La production a également suivi de près le choix musical pour nous concocter une B.O jouissive. On avait tellement oublié qu’on adorait ces chansons que l’on voudrait voir cette B.O éditée en CD pour la réécouter dans notre Discman !

© Showtime

Uber avant l’heure

Bien que purement fictionnelle, la série s’inspire de véritables systèmes tel que Herbalife ou Amway, ces réseaux qui promettent la richesse facile et l’accomplissement personnel du jour en lendemain. On n’a pas attendu Uber pour voir apparaître de malins investisseurs faire miroiter le bonheur d’être son propre patron. Ainsi le scénario illustre clairement le discours mis en place pour inciter les gens à rentrer dans la pyramide. Pour cela il suffit d’acheter un stock de produits d’entretiens et de les revendre à des personnes qui recruteront ensuite pour faire de même, créant ainsi une chaîne de distribution qui n’avantage que les maillons supérieurs. Les plus faibles ne tarderont pas à se rendre compte qu’ils ne verront peut-être pas les retombées qu’on leur a promis. La série montre bien tous les aspects de ces pratiques, comment on tombe dans le panneau et surtout, pourquoi ça ne peut pas fonctionner. Régulièrement cités comme étant frauduleux, voire sectaires, ces systèmes continuent pourtant de se développer un peu partout dans le monde, laissant le plus souvent ses adeptes ruinés et en grande détresse psychologique. 

Bon alors, cette misère, elle est moins pénible au soleil, oui ou non ?!

Comme m’a dit un jour mon ami Matthew, “everybody is crazy in Florida”, et au regard de ces personnages en perte de contrôle, on ne peut que lui donner raison. Certains cinéastes  utilisent d’ailleurs le cinéma afin d’explorer une tendance observée dans cet État. Est-ce la fiction ou bien une réalité alarmante qui veut que l’on y retrouve, comme dans River of Grass de Kelly Reichardt ou encore The Florida Project de Sean Baker avant elle, une jeune maman laissée pour compte devant se débrouiller comme elle peut dans une ville  sans espoir ? Si ce postulat n’a rien de réjouissant, la série aborde cette fois-ci ce thème sur un ton tragi-comique dont on savoure l’humour gris foncé, comme si Marc Cherry et Todd Solondz s’étaient retrouvés dans la salle des scénaristes.

© Showtime

Entre misère et exploitation, la mise en scène revient constamment sur ce que les personnages mettent en oeuvre pour assurer leur survie, littéralement ou socialement. Car dans cette réserve d’alligators, même ceux qui pensent être arrivés en haut font tout ce qu’ils peuvent pour sauver les apparences et éviter le naufrage. Qu’il s’agisse d’un parc aquatique en décrépitude, d’une tenue de gala ou d’un téléthon, seule l’image que l’on renvoie est importante et tant pis si le spectacle est navrant. Il y a quelque chose de fascinant dans cette recherche de l’image parfaite. 

En tant que spectateur, c’est avec un plaisir coupable que l’on regarde ces braves gens se faire avoir avec tant de ferveur et de joie. Ils y croient tellement que l’on en vient à souhaiter le succès de cette entreprise que l’on sait pourtant vouée à l’échec. Si l’on peut trouver à redire sur la direction prise à la fin de la saison 1, la promesse contenue dans le titre a pour sa part été respectée. Cela n’enlève rien à notre hâte de voir la saison 2 qui a été commandée. Et peut-être que d’ici là nous aurons assisté ailleurs à un troisième mariage de Kirsten et Alexander. 

En Une : © Patti Perret/Sony/Showtime

On Becoming a God in Central Florida. Une série créée par Robert Funke et Matt Lutsky. 10 épisodes. Avec Kirsten Dunst, Théodore Pellerin, Alexander Skarsgård, Beth Ditto… Diffusée depuis le 25 août 2019 sur Showtime.


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