L’Etat Sauvage : Il était une fois… un western français
Je m’étais délectée, visuellement et scénaristiquement, de Nos héros sont morts ce soir (2013), premier long métrage sur fond de catch de David Perrault. Alors, lorsque j’ai appris que le réalisateur originaire d’Angers s’attelait pour son second projet au genre du western, cela a évidemment piqué ma curiosité. Une aventure ambitieuse, et risquée, pour ce jeune cinéaste français se soldant par un film réussi sur sa forme, mais en demi-teinte sur le fond.
Le cinéma français se voit souvent reprocher son manque de prises de risques. Et pour cela, commençons par remercier David Perrault, alors qu’il n’a que trois courts métrages et un long métrage à son actif, de se mettre autant en danger et de se placer avec ce nouveau projet complètement à contre-courant de la production française actuelle. Une folle ambition qu’il est nécessaire de saluer et qui prouve que l’audace est encore possible. Après avoir filmé en noir et blanc des catcheurs dans le Paris des années 1960, le réalisateur nous emmène cette fois-ci, en couleurs, dans les plaines de l’Ouest américain des années 1860 pendant la guerre de Sécession. L’État Sauvage relate les péripéties d’une famille de colons français qui décident de fuir le Missouri où ils ont élu domicile depuis vingt ans. Esther (Alice Isaaz), ses deux sœurs et ses parents, se lancent dans une traversée du pays pour prendre le premier bateau qui les ramènera en France. Victor Ludd (Kevin Janssens), un ancien mercenaire au passé trouble, est chargé de veiller à la sécurité du voyage et d’emmener tout ce petit monde à bon port. Mais un gang de hors-la-loi sanguinaire mené par Bettie (Kate Moran) se lance à leurs trousses…
Il vous faudra sans doute un petit temps d’adaptation lors du démarrage de L’Etat Sauvage. Non pas à cause du scénario ou de la mise en scène, mais plutôt des dialogues… En français. Vous pouvez me traiter de bobo, mais j’ai effectivement perdu l’habitude de regarder les films (et les westerns du coup) en VF. Et le fait de voir des comédiens papoter en français en plein Ouest américain m’a donc quelque peu perturbée au départ. Le décalage entre la langue et le genre du film est au départ complètement dépaysant, mais rend le propos difficilement plausible. Ils existaient pourtant bel et bien ces colons français installés aux Etats-Unis. Mais les habitudes, et la culture cinématographique, ont parfois la dent dure. C’est le cas ici. Il m’a donc fallu un peu de temps, et des retrouvailles rapides avec mon ouverture d’esprit, pour que ce western français m’embarque totalement.
David Perrault, dans ce nouvel opus, fait la part belle aux femmes, et nous l’en remercions grandement. L’ensemble du film est vécu du point de vue d’Esther. La caméra suit constamment les moindres gestes et regards de la jeune femme : son attirance certaine pour Victor, ses angoisses, son cocon familial qui ne lui correspond pas réellement ou encore la rudesse du voyage. Outre ce protagoniste principal, les autres femmes sont également des personnages forts et affirmés. A commencer par ses sœurs Justine, qui dévoile son identité sexuelle lors d’une séquence confessions touchante, et Abigaelle, à l’apparence frêle et pourtant pleine de ressources. Si elle apparaît la majeure partie du film pieuse, froide et distante, leur mère, quant à elle, se révèle surprenante lors de la séquence finale. Bettie, la cheffe du groupe de hors-la-loi masqués, est également un personnage féminin absolument captivant – quoique dérangé – par son côté passionné mais aussi dangereux. L’État Sauvage contient par ailleurs son lot de plans, et de séquences, agréablement léchés. Le feu, les plaines américaines, les comédiens, la neige… L’ensemble est épuré et esthétique. Et si l’on regrette un surplus inutile de musique par moment, la forme de ce western français n’a rien à envier aux films du genre, puisqu’il possède la patte du réalisateur. Une patte à la mise en scène aussi agréable à regarder que celle de Nos héros sont morts ce soir. Si la forme ne fait donc pas sourciller, bien au contraire, le fond quant à lui laisse cependant sur sa fin. Le réalisateur tente de se réapproprier les codes du genre, mais on sent pourtant qu’il n’a pas pleinement réussi à se libérer du joug des grands westerns américains. David Perrault semble avoir voulu mettre trop d’éléments dans son film, et certains points se retrouvent par ce fait trop peu développés au sein du scénario. Une dose de frustration donc, pour un western ambitieux pourtant plein de bonnes idées… Et détonnant dans le paysage cinématographique français de ce début d’année !
L’Etat sauvage. Un film réalisé par David Perrault. Avec Alice Isaaz, Kevin Janssens, Déborah François… France. Durée : 1h58. Genre : Western, Romance. Distributeur : Pyramide Distribution. Sortie le 26 février 2020.
Crédits Photo : © Pyramide Films.