Léo Karmann by Les Ecrans Terribles
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La Dernière Vie de Simon : entretien avec Léo Karmann et Sabrina B. Karine

La belle surprise de la semaine s’appelle La Dernière Vie de Simon et prouve que le cinéma français peut se frotter au fantastique sans faire cheap ou partir en vrille. Nous avons pu nous entretenir avec ses deux têtes pensantes, Léo Karmann et Sabrina B. Karine, défenseurs d’un cinéma à la fois exigeant et familial dont on a déjà hâte de voir les prochains projets.

On sent très rapidement dans La Dernière Vie de Simon votre amour du cinéma fantastique des années 1980. Celui de Spielberg, Dante, Richard Donner… Quels sont vos “films de chevets” et comment ont-ils influé sur l’écriture de votre film ?

Léo Karmann : C’est Hook qui m’a donné envie de faire du cinéma. Je trouve qu’il résume ma vision du 7e Art et ce pacte qu’on scelle avec le spectateur : non, ce que vous allez voir n’existe pas dans la vraie vie, mais pendant deux heures, on va y croire ensemble. Cependant, pour La Dernière Vie de Simon, ce sont deux autres oeuvres qui m’ont servi de références : E.T. pour la structure et Edward aux mains d’argent pour l’émotion romantique. 

Sabrina B. Karine : Mon film préféré, celui dont je ne me lasse pas, est Titanic. Son ambition, sa simplicité et son intensité scénaristique sont une vraie leçon de cinéma à plein de niveaux. J’adore également E.T. (et plein de films de Spielberg), tout comme le cinéma d’animation des studios Pixar car il est destiné aux enfants mais s’adresse tout autant aux adultes. C’est le cinéma que je rêve de faire, des films accessibles au plus grand nombre. En revanche, les films de Spielberg sont toujours très « assexués ». Il ne racontent jamais des histoires d’amour. C’est pourtant ce que Léo et moi mettons au coeur de nos projets. C’est en ça que je ressens l’influence de James Cameron sur notre travail.

L’ADN de La Dernière Vie de Simon est très américain. Le risque aurait pu être de faire un film “comme les américains”. Au moment de l’écriture (ou du tournage), avez-vous réfléchi à une manière de vous délester de cet héritage pour vous forger une identité propre, un peu hybride ?

Sabrina : Nous sommes français, notre culture est française. Faire un film « comme les américains » aurait été renier notre identité en voulant être quelqu’un d’autre (tiens, n’est-ce pas d’ailleurs la thématique du film ?). 

Léo : On a fait très attention durant l’écriture. Au fur et à mesure des versions, on a retiré ce qui relevait du code de genre américain non-incarné pour se rapprocher toujours davantage des personnages. L’objectif était d’écrire un scénario le plus abouti possible en terme de personnages et de relations (ce qui fait l’ADN de notre cinéma national finalement), pour laisser la dimension merveilleuse à la mise en scène. On voulait assumer nos influences américaines mais en s’appropriant intimement le genre.

Vicki Andren et Simon Susset © Ciné Sud

Nous sommes entrés depuis quelques temps maintenant dans une période de nostalgie des années 1980. Les projets comme Stranger Things ont-ils eu un quelconque impact sur votre manière de rendre hommage à cette période marquante de votre enfance ?

Sabrina : On était en pleine écriture quand Stranger Things est sorti. Nous avions quelques points communs : la méchante du film était une scientifique qui voulait étudier Simon et son pouvoir. En voyant la manière dont la série utilisait les scientifiques, on a compris qu’on ne voulait pas partir sur cette voie. Elle nous a mis face aux codes du genre fantastiques dans lesquels on s’était embourbés. 

Léo : Stranger Things nous a aidés en nous montrant la voie qu’on ne voulait pas prendre ! J’adore la série, mais je suis triste qu’on soit obligé de placer les films dans le passé pour raconter des histoires magiques. J’ai aimé le défi de créer du merveilleux à notre époque.

Le mésamour des spectateurs français pour le film de genre est bien connu et s’en ressent – très malheureusement – souvent au niveau des entrées. Comment expliquez-vous cette réticence du public ?

Léo : Je pense que c’est la conséquence de plusieurs facteurs : d’abord le peu de films de genre produits en France, puis leur qualité générale. Je ne dis pas que tous les films de genre français sont mauvais, mais, comme dans toutes les autres catégories de films, il y a des tentatives réussies et d’autres moins. Ca vaut pour le fantastique comme pour la comédie : il y en a de très bonnes et de très mauvaises. Sauf qu’il sort trois comédies par semaine ! Dans le nombre, on finit toujours par y trouver son compte. Au prorata, il doit y avoir le même pourcentage de réussite artistique dans chaque catégorie de film. Si on produisait plus de films de genre, on en aurait davantage de bons… Et les spectateurs retrouveraient confiance dans la capacité des Français à en faire.

Les producteurs et distributeurs ont développé une espèce de prudence symptomatique. La préparation du film a-t-elle été compliquée ? Avez-vous dû faire des concessions ou abandonner des idées (de mises en scènes ou autres) pour des raisons de budget ?

Sabrina : Trouver les bons partenaires a été très compliqué… Mais nous n’avons fait aucune concession. La plupart des producteurs que nous avons rencontrés avaient peur, ils gardaient en tête la « réalité du marché ». Puis on a rencontré Grégoire Debailly qui a eu plus envie qu’il n’avait peur. On s’est dit que ça allait être bon, que le film allait pouvoir se faire… Mais finalement, on est juste passés d’une galère à deux à une galère à trois. Pendant la recherche de financements, tous les distributeurs nous disaient non : « On fait pas ça en France », « on n’a pas de public pour ça ». On voyait le nombre de distributeurs restant diminuer. Grégoire a décidé d’enlever toutes les références visuelles de direction artistique de nos présentations. Et là, c’est passé ! Un distributeur a dit oui, en projetant sûrement quelque chose de plus réaliste. Le film s’est fait, le distributeur l’a vu… et nous l’a rendu. On a du reprendre les démarches. On montrait le film, nos interlocuteurs l’adoraient mais ne savaient pas comment le vendre. C’était rageant. Léo et moi faisions face à des personnes qui ne voulaient pas prendre de risque, qui préféraient prendre un film qu’ils aimaient moins mais qui remplissait les cases rassurantes de la star ou du réalisateur connu. Le cinéma français demande aux artistes de s’adapter et de rentrer dans des cases toutes faites et faciles à vendre. D’aseptiser toute forme d’art et d’originalité, en somme. On devrait faire l’inverse : demander aux artistes d’être originaux et inventifs. Le cinéma n’en serait que beaucoup plus riche. 


Bande-annonce du film de Léo Karmann

Votre film commence dans une ambiance fantastique très 80s avant de muter en une romance adolescente plus moderne et de se terminer sur le terrain du thriller survitaminé. Comment avez-vous trouvé le bon dosage ? N’avez-vous jamais eu peur de perdre le spectateur à cause de telles mutations ?

Sabrina : On nous a souvent renvoyé ce changement de genre comme étant un problème. Je pense qu’il a pu l’être pendant un moment. On y perdait les lecteurs. Tout le travail pour nous a été de décoder ce qu’ils ressentaient durant la lecture. Quand ils nous disaient : « il y a trop d’action à la fin », il fallait comprendre : « on perd le personnage ». L’exercice a été de recentrer sur Simon et ses émotions. Après ça, c’est passé tout seul. Il fallait juste que l’action soit moins gratuite.

Léo : Nous sommes persuadés qu’il est possible de naviguer dans les genres tant que l’empathie pour les personnages est préservée et que leur évolution émotionnelle est cohérente. Et pour ma part, c’est aussi ce que je préfère au cinéma : quitte à payer plein pot un ticket, autant vivre plein d’émotions différentes, non ?

De la même manière, La Dernière Vie de Simon prend les atours d’un film familial avant de prendre à bras le corps des thématiques plus troubles et délicates. La relation entre Simon et Madeleine est particulièrement complexe et peut faire naître bien des interrogations chez les enfants. Réfléchissiez-vous à une cible particulière lors de l’écriture ? D’après vous, à qui le film s’adresse-t-il ? 

Léo : Les thématiques du film ne sont pas si complexes. On parle d’amour, mais d’une manière probablement inhabituelle. Le film a été sélectionné dans une dizaine de festivals et a reçu plusieurs prix du public, dont l’un vient d’un festival jeune public. La réception est bonne, quel que soit l’âge. Je dirais donc qu’on est véritablement familial : de 8 à 90 ans !

Sabrina : Mais si les enfants sont surpris et posent des questions à leurs parents, c’est super ! Il faut parler de ce genre de choses. Il faut même pouvoir parler de tout. Je considère que c’est aussi l’une des missions du cinéma : mettre des sujets sur la table, créer des débats, ouvrir des discussions. Pareil pour les émotions. On veut trop protéger les enfants d’émotions dites « négatives », mais pour moi il n’y a pas d’émotions négatives. Elles ont toutes leur importance, elles sont toutes vitales. En revanche, il ne faut pas y rester enfermé ! Si un enfant est triste ou a peur en voyant le film, il est très important d’en parler, de mettre des mots dessus, de répondre aux questions. Comme on pourrait le faire dans la vie.

Benjamin Voisin, Camille Claris © Ciné Sud

Je sais que Sabrina a collaboré au script de The Room, de Christian Volckman, un autre film fantastique qui sort en mars chez nous. Peut-on espérer vous voir l’un comme l’autre continuer de rebooster le film fantastique français, et peut-être réussir à lui faire retrouver l’amour du public (on croise les doigts) ? Ou vos prochains projets vont-ils être d’un tout autre genre ?

Sabrina : Nous avons plusieurs projets : un biopic qui s’appelle Madame Einstein, une comédie musicale dans l’espace, Honey Moon, un film qui se passe dans le noir total après l’extinction du soleil… Bref des films complètement différents. Nos projets naissent toujours d’un concept ou d’une envie d’histoire. Le choix du genre n’intervient qu’après. 

Léo : Nous avons la volonté de faire un cinéma d’émotions avant tout.

Sabrina : Finalement, faire du merveilleux est juste une question d’envie. On peut voir la vie comme morne, grise et triste ou voir de la poésie dans plein de choses. C’est ce qu’on veut pour notre cinéma. Moi, j’écris main dans la main avec mon enfant intérieur. C’est le pouvoir des enfants que de s’émerveiller et de voir de la magie partout.  

La Dernière Vie de Simon, de Léo Karmann.
En salles depuis le mercredi 5 février.
Critique du film à lire ici.
Merci à Léo Karmann et Sabrina B. Karine pour leur temps et à Claire Virouland de Ciné-Sud Promotion pour l’entretien.

Élevé dès le collège à la Trilogie du Samedi. Une identité se forge quand elle peut ! Télé ou ciné, il n'y a pas de débat tant que la qualité est là. Voue un culte à Zach Braff, Jim Carrey, Guillermo DelToro, Buffy et Balthazar Picsou.

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