Just-Charlie-by-les-ecrans-terribles
Films

Pourquoi « Just Charlie » nous a blasés autant qu’il nous a séduits

C’est rude : de mémoire récente, cela faisait longtemps qu’on n’avait pas eu envie de défendre un film qui nous a autant fait grincer des dents. Mais voilà, Just Charlie réchauffe le coeur autant qu’une bonne dose de clichés qu’on pensait enterrés. Faisons le point.


1°/ Parce que c’est un film sur la tolérance
(et que c’est toujours bon à prendre)

On ne va pas faire la fine bouche. Just Charlie a un coeur gros comme ça, et dans un paysage audiovisuel, voire DANS UN MONDE où les railleries, les moqueries et les piques-perso-mais-non-c’est-de-l’humour-voyons-#SecondDegré vont bon train, voir un film débarquer avec une démarche éminemment positive et une tendresse à toute épreuve fait clairement du bien au moral. Just Charlie conte l’histoire d’un jeune garçon – en apparence – terriblement mal dans sa peau puisqu’il ne s’identifie pas au genre masculin. Mis aux pieds du mur, Charlie décide de révèle son secret à sa famille, au risque de la faire exploser.

Le premier long métrage de Rebekah Fortune a la bonne idée d’aborder la transidentité avec une délicatesse de chaque instant, sans plonger dans le côté clinique auquel le sujet est souvent associé. Ici, bien que la question et sa représentation aient leur importance, il n’est nullement question de transition, ni d’hormones ou de chirurgie. Just Charlie nous parle de ressenti, de sentiments, de mal-être, de quête d’identité. On parle d’une adolescente que le monde entier pense être un garçon, et dont le secret incroyablement personnel pourrait avoir des conséquences bouleversantes. Car s’il ne concerne qu’elle, il concerne pourtant tout le monde. Soudainement, la facette la plus intime de son être devient une question, une discussion, une affaire publique qui concerne presque davantage la communauté que la principale intéressée. Voir le lycée, le club de foot et le pub du coin prendre position de manière déplacée sur un sujet qui ne les regarde pas – et qu’ils ne comprennent bien souvent pas – fait rager et donne envie de mordre, mais ce n’est pas anodin.

Rebekah Fortune, dont le travail ces vingt dernières années a toujours été marqué par des questions d’identité (au sens large, mais particulièrement de genre), ne s’y est pas trompée. Le parcours des personnes transgenres ne devrait regarder qu’elles, mais la société aime s’accaparer des problématiques qui ne sont pas les siennes. En attendant que ça change, serrons les dents !


2°/ Parce que les clichés, même quand on essaye d’ouvrir les horizons de ses spectateurs, ça va 5 minutes !

C’est bien connu : l’enfer est pavé de bonnes intentions. Celles de Rebekah Fortune sont limpides. Elle souhaitait montrer l’impact que pouvait avoir une telle “onde de choc” – pour reprendre ses termes – au sein de votre univers, à petite (la famille) comme à grande échelle (la communauté autour). La réalisatrice espère ainsi sensibiliser le monde à des questions complexes, et peut-être aider à ce qu’elles soient mieux comprises. C’est en tout cas tout le mal que l’on souhaite à Just Charlie. S’il y parvient, on en sera les premiers ravis.

Là où on émet quelques doutes, c’est que le film s’enlise dans des clichés qu’on espérait ne plus revoir au cinéma (comme ailleurs) tant ils ont fait leur temps. Il n’aura pas fallu attendre dix minutes pour que le père dise que pour se sortir de ses problèmes, Charlie “needs to man up !”. Cette expression intraduisible en français mais qui laisse penser que la masculinité virile, celle qui incite à poser ses couilles sur la table quand c’est nécessaire, est la seule solution face à l’adversité. Il ne lui en aura pas fallu sept avant que Charlie, alors encore opaque quant à son identité, ne finisse des escarpins luxueux aux pieds… Plus tard, la caméra nous montrera avec une symétrie quasi-parfaite les chambres de Charlie et de sa soeur côte à côte, l’une outrageusement rose, l’autre très clairement bleue.

Suivrons des scènes tellement rabachées qu’on les pensait enfin écartées des films LGBTQ : la brouille avec le meilleur ami, le conflit ouvert avec le parent moins tolérant que l’autre, l’altercation physique qui arrive quasi-inévitablement dans tout film de coming-out (quel qu’il soit). Des passages qui semblent désormais obligés alors qu’on n’attend qu’une seule chose : que les films queer, et particulièrement ceux qu’on pourrait qualifier de “tout public”, nous racontent enfin d’autres histoires. Car n’oublions pas que le cinéma, plus encore que les autres arts, a le pouvoir et le devoir de représenter ceux et celles qui le regardent. Servir des clichés maintes fois réchauffés sur une communauté qui peine encore à être prise au sérieux (voire même simplement reconnue) est au mieux dommageable, au pire insultant.


3°/ Parce qu’on aime Billy Elliot comme tout le monde, mais c’était y a vingt ans bordel !

Charlie a une passion (et un vrai talent) pour le football, mais surtout une sacrée pression sur le dos. Non pas parce qu’on lui propose d’en faire une carrière, mais parce que son père, ancien footballeur déchu obligé de bosser à l’usine, le voit en future superstar du ballon rond. Un brin rustre, pas très éduqué et amateur de bières au pub du coin, le pater vivra forcément très mal les problèmes identitaires de son fils (impossible pour lui de l’appeler d’une autre manière). C’est toute une masculinité qui lui paraît reniée, chose impensable. On n’est pas loin du “tu seras un homme mon fils (même si t’en as pas envie !)”. Les apparences passent avant tout, vous comprenez bien. Définitivement, Just Charlie lorgne beaucoup du côté de son aîné (anglais également), avec lequel il partage un ADN flagrant et insiste un peu plus sur l’idée qu’on serait peut-être davantage homophobe / transphobe quand on est prolo que lorsqu’on vit confortablement. Les problèmes rencontrés par Charlie ressemblent aussi étrangement à ceux de son grand frère spirituel, même s’il n’était alors pas ouvertement question d’identité queer. Trop, peut-être ?

Malgré son sujet très moderne – ou plutôt au coeur des préoccupations et revendications sociales contemporaines -, le film de Rebekah Fortune nous paraît d’entrée de jeu un peu daté, comme une nouvelle version, un peu trop sirupeuse (la réal transpire parfois de bons sentiments), d’un classique qu’on connaît par coeur. Surtout un an après la claque assénée par le Belge Girl qui, sur un sujet similaire (une histoire de transition sur fond de danse classique, cette fois), abordait le trouble identitaire de son héroïne de manière plus moderne et frontale. Fort heureusement, Fortune et son scénariste Peter Machen ont réussi à dresser un portrait tout à fait réaliste d’une famille attachante, très juste dans ses réactions, même les plus viscérales, même les plus révoltantes. Si les situations ne surprennent jamais, le film se rattrape sur la qualité de l’interprétation (le jeune Harry Gilby est épatant) et des échanges verbaux lors de quelques scènes d’une importance capitale. Celle où Charlie explique en quelques phrases ce qu’elle ressent lorsqu’on la traite comme un garçon devrait être montrée lors de cours d’éducation civique et/ou sexuelle, pour faire comprendre à chaque personne en âge de l’entendre que l’Autre, celui qui est différent de nous, n’est pas un monstre pour autant.

Lorsqu’elle assume et dévoile au monde qui elle est derrière la façade, une personne trans a déjà affronté de telles épreuves qu’il est inutile de lui en rajouter. Un rappel humaniste et profondément nécessaire, qui prouve que Just Charlie en a dans la caboche et mérite malgré tout ses nombreuses sélections en festivals. On aurait juste aimé avoir moins de choses à lui reprocher à côté.

Just Charlie. Un film de Rebekah Fortune. Avec Harry Gilby, Scot Williams, Patricia Potter… Durée : 1h39. Sortie France : 15 mai 2019.
Photo en Une : Harry Gilby dans le rôle Charlie©2iFilms

Élevé dès le collège à la Trilogie du Samedi. Une identité se forge quand elle peut ! Télé ou ciné, il n'y a pas de débat tant que la qualité est là. Voue un culte à Zach Braff, Jim Carrey, Guillermo DelToro, Buffy et Balthazar Picsou.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.