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Cannes 2019

Journal de prod #1 – Faire peau neuve au milieu des zombies

Après 10 années de festival de Cannes, accréditée par la société de production dans laquelle je travaillais, j’aborde cette édition dans une nouvelle perspective puisque je démarre mon activité de jeune productrice avec ma propre structure. “Ecris comme ça, ça fait peur…”

La liberté a un prix, celui de ne plus avoir les facilités d’accès aux places pour les projections au Grand Théâtre Lumière, celui de ne plus avoir le train et le logement pris en charge, etc. Malgré tout, me voilà avec des cartes de visites toutes neuves, à Cannes, pleine d’espoir de cinéma et de rencontres passionnantes et passionnées ! J’ai saisi l’opportunité de me faire accréditer par Les Écrans Terribles pour lesquels j’ai pour mission de raconter les dessous de ce premier festival en tant que jeune productrice. “On est encore jeune approchant la quarantaine et avec deux enfants, si, si,…”

En tant qu’apprentie rédactrice pour un média web, je me sens perdue, sans repères… Je dois apprendre le modus operandi du Google Doc, me faire à l’idée de prendre la file réservée à la presse, et repasser régulièrement à l’appartement pour rédiger, entre deux rendez-vous, des réponses de mails à des coproducteurs étrangers… Comment concilier la double casquette de jeune productrice en lancement d’activité et rédactrice novice 2.0 ?

Dans le train Paris-Cannes, on croise quelques têtes connues avec mon associée, on échange sur les rendez-vous à venir, les projets qui nous séduisent à la Fabrique des Cinémas, l’Atelier de la Cinéfondation…

A mon arrivée, nous avons rendez-vous avec le propriétaire de l’appartement : visite de courtoisie et échange de facture pour la compta – très important la compta!

J’avais oublié de préciser au propriétaire que nous serions quatre dans l’appartement, au lieu de deux – ça réduit les coûts et ma compta serait fière ! Pendant qu’il m’expose assez longuement qu’il y a une baisse d’affluence et une perte de vitesse du festival de Cannes à cause de l’absence de Netflix et Amazon cette année, j’ai donc mon coloc n°3 qui se terre sans faire de bruit dans la salle de bains et ma coloc n°4 qui m’alerte d’un sms qu’elle arrive dans cinq minutes. J’ai peur qu’ils se croisent et de devoir payer un supplément….et ça je comprends que ce n’est pas bon pour la compta… Je prétexte donc avoir un rendez-vous, mais je tiens le proprio au courant pour le ménage de sortie!

Je décide d’aller faire un tour à la table ronde du CNC sur les nouveaux modes de financements du cinéma. Elle a commencé depuis un moment déjà et à peine j’ouvre la porte que j’entends de vifs échanges et le ton qui monte :“on risque de se faire netflixser”.  Et cette jeune femme à côté de moi qui répond : “Et alors, peu importe?“. Elle est jeune réalisatrice et pitchera son prochain court-métrage à Paris Courts devant. Elle m’invite à venir écouter son projet, on échange nos cartes. Elle ne sait pas que c’est la toute première personne à qui je donne une carte de visite, je me souviendrais donc longtemps de son prénom et de son visage... Elle me confie qu’en tant que réalisateur, elle n’est pas contre Netflix et qu’elle a un de ses meilleurs amis qui vient de réaliser un programme pour eux, qu’il semble satisfait de la manière dont cela s’est passé. De son côté, elle n’emprunte pas du tout les mêmes circuit de financement pour ses projets. De son point de vue, Netflix est une nouvelle opportunité de créer des oeuvres qui soient vues.

Une morosité ambiante se fait sentir pour ce festival….

Je décide de voir Zombi Child, le film de Bertrand Bonnello présenté à La Quinzaine des réalisateurs, curieuse de voir quel angle il a choisi pour aborder la question du Vaudou et de la culture haïtienne, et aussi avec l’envie de découvrir le nouveau DG, Paolo Moretti…

Pas grand chose à dire sur le nouveau sélectionneur, juste que c’est difficile de se mettre dans les chaussures de Waintrop. Allez Paolo, ce n’est pas facile d’être dans un nouveau costume, je le sais aussi bien que toi et je compatis… Il faut miser sur ta personnalité et ton engagement !

Mauvaise pioche pour une mise en jambe, le film s’avère ennuyeux avec le sentiment de se faire balader de manière assez aléatoire entre trois récits, trois personnages : le grand-père haïtien victime de zombification, sa petite fille Melissa et enfin son amie qui vit une relation amoureuse fantasmée, interprétée par Louise Labeque (déjà remarquée dans Roulez jeunesse de Julien Guetta).

Je me souviens avoir été très émue par L’Apollonide, souvenirs d’une maison close ou encore Saint Laurent, qui sont deux films d’époque, avec ce que j’imagine comme lot de contraintes inhérentes à ce type de projets. Pour autant, il m’en reste le souvenir d’une beauté de la mise en scène, de personnages émouvants et complexes. On sentait un désir de l’auteur de sonder l’âme de ces personnages pour les projeter à l’écran.

Paradoxalement dans Zombi Child, on a le sentiment de ne jamais avoir accès à cette intériorité des personnages, ce qui est d’autant plus étrange quand on pense voir un film qui traite d’une culture, d’une tradition basée sur la cohabitation du visible et de l’invisible, des âmes qui voyagent…

Alors je me souviens des quelques mots de l’auteur avant la projection du film qui rappelait la grande liberté qu’il avait eu sur ce film, peut-être en opposition aux deux expériences des films cités plus haut (ça ce n’est que pure supposition). Dans ces circonstances, on s’interroge : la liberté de création n’émerge-t-elle pas aussi quand elle a nécessité à se construire à partir de contraintes ?

Nous nous retrouvons avec mon associée à la soirée du collectif 50-50, histoire de décompresser et d’atterrir en douceur… Nous sommes entourées de gens qui pensent qu’il faut saisir l’opportunité de travailler à l’égalité et la diversité parce qu’ils ont la certitude qu’ouvrir le champ du pouvoir favorisera en profondeur le renouvellement de la création (cf. le site 50-50 et la charte pour la parité et la diversité). Ah, bah voilà, c’est pour cela que nous avons créé notre société avec mon associée, j’ai presque failli l’oublier avec la morosité ambiante !

Photo en Une : Louise Labeque dans Zombi Child de Betrand Bonello. Copyright Playtime

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