Journal de Cannes #6 – 16 Juillet 2021
Cher journal,
C’est la dernière fois que je t’écris. Ça a été intense, on a eu de bons moments toi et moi, mais je pense qu’il est temps de nous séparer. Rassure-toi, ce n’est pas toi c’est moi. Enfin, ce n’est pas vraiment moi, c’est juste le Festival qui s’arrête. Mais restons bons amis, ok ?
Si l’on considère que le cinéma est une fenêtre sur le monde (je suis de ces gens-là), cette édition sans véritable favori m’aura au moins donné un aperçu de ce qu’il s’est passé dans la tête des cinéastes durant cette annus horribilis.
Il m’en aura aussi appris davantage sur la difficulté d’être jeune. Par un coup du hasard, cette génération s’est imposée comme le leitmotiv de cette ultime journée de projections. Une jeunesse engagée ? Ambitieuse en tous cas, et certainement pas éternelle étant donné tout ce qu’elle subit.
Dans Haut et Fort, le réalisateur Nabil Ayouch explore la réalité d’adolescents marocains face à leurs contraintes et injonctions. Dans un centre culturel de Casablanca, une classe d’expression orale (ou de rap) devient un terrain d’échanges sur les rapports que ces jeunes entretiennent avec la religion et les possibilités d’émancipation des femmes. Si le film n’est pas le plus puissant de la sélection, les sujets importants n’étant jamais creusés en profondeur, il est suffisamment porteur de message pour marquer quelques membres du jury issus d’un cinéma engagé.
Je ne sais pas toi, mais moi, entre deux films, j’aime bien aller voir des films. Ce que j’ai fait en me rendant à la présentation des courts-métrages en lice pour la Palme d’Or. Je n’en évoquerai qu’un seul, Haut les cœurs d’Adrian Moyse Dullin qui, non content d’établir un pont avec le titre précédent, place aussi des jeunes ados devant la caméra. Dans la salle, il a reçu le combo suprême : des éclats de rires et des applaudissements tonitruants. Pour un court, c’est un gage de réussite. Mahdi, sa grande sœur Kenza et la copine de celle-ci se chamaillent dans le bus. Entre deux snap, elles essaient de convaincre le garçon d’aller parler à l’élue de son cœur, Jada. C’est tendre, c’est vache, c’est la vraie vie en 14 minutes.
Celle de l’héroïne du dernier film de Jonas Carpignano fait un peu moins rigoler. Chiara, c’est la fille à qui on ne la fait pas et qui va réussir à s’imposer pour ne pas subir les conséquences des activités douteuses de son père. Dans cette banlieue Calabraise, on insiste sur la fête avant de basculer vers le drame avec une aisance toute italienne. A Chiara (suite officieuse d’A Ciambra) confirme le talent singulier de son réalisateur décidément prometteur.
L’édition 2021 du Festival de Cannes aura été plutôt musicale, comme l’annonçait Annette, son film d’ouverture. Elle m’aura permis de découvrir des films que je n’aurais peut-être pas voulu voir en temps normal. Oui, j’ai bien dit normal, un adjectif qui ne convient pas lorsqu’on s’enferme dans des salles obscures pour voir une vingtaine de films en six jours alors qu’on est au bord de la mer. Mais alors, qu’il est bon d’être anormal ! Cela permet une immersion dans un concentré d’histoires, de langues, et de territoires. Cette édition 2021 me restera en mémoire comme celle du feu et de la liberté, du piano et du sexe, de la jeunesse et de Vivaldi. Et pour celles et ceux qui auraient le blues de voir l’événement se terminer, rassurez-vous : la prochaine édition aura lieu dans moins d’un an. Vivement #Cannes2022 !
Matthieu Touvet
Crédits Photo : A Chiara © Haut et Court.