Journal de Cannes #2 – 12 Juillet 2021
Cher journal, je pense qu’il manque à cette rubrique un point météo, alors laisse-moi te dire qu’aujourd’hui, le temps n’était pas top. J’en ai donc profité pour jouer les rats des salles avec cinq projections. Au programme de ces dix heures de bobines avalées : des drames bourgeois, une île mystérieuse, un masturbateur compulsif, un feu d’artifice et des dévotes tyranniques.
Nanni Moretti n’est certes pas le plus expressif des Italiens, mais tout de même, ce peuple nous a habitué à des rapports humains plus chaleureux. Comme toujours dans la vita globalement dolce du réalisateur, les drames et leurs conséquences se déroulent sans fracas ni états d’âme. La formule est la même dans Tre Piani, en Compétition, qui entremêle trois récits dans un même immeuble cossu de Rome. Les histoires ordinaires peuvent pourtant être passionnantes, mais dans cette image froide, elles sont finalement privées de relief. Notons quand même la présence des lumineux Alba Rohrwacher et Riccardo Scamarcio. Ces deux-là auraient d’ailleurs leur place dans le Bergman Island de Mia Hansen-Love. Un charme inouï se dégage de ce film que je redoutais pompeux et intello. Le ton est léger, on rit souvent. La réalisatrice, qui semble s’être inspirée de sa propre relation avec le réalisateur Olivier Assayas, gère habilement les différentes mises en abîmes qui structurent la narration. Le charme imparable des acteurs Mia Wasikowska et Anders Danielsen Lie joue pour beaucoup dans le plaisir ressenti, mais c’est le retour de Vicky Krieps dans son premier rôle d’envergure depuis Phantom Thread qui m’a rendu le plus joyeux.
Quittons l’île de Fårö pour le Cantal, où l’on découvre l’histoire de vraie de Bruno Reidal, portrait d’un jeune homme torturé face à ses pulsions criminelles étrangement liées à son obsession masturbatoire. En même temps, qui ne le serait pas ? Et cette question qui le taraude depuis que, gamin, il a vu un cochon se faire abattre : « Ça se tue aussi un homme ? ». En suivant ses examens médicaux, on suit l’étude de la psyché du jeune meurtrier au calme glaçant. L’acteur Dimitri Doré donne vie au personnage avec une composition impeccable, aussi retenue qu’inquiétante. Cette séance paysanne de Thomas Le Port, sélectionnée à la Semaine de la Critique, est tellement maîtrisée et aboutie que j’ai eu la sensation d’être téléporté en plein 19e siècle. Croyez-moi, on entendra parler à nouveau de ce film lors de sa sortie.
En voilà un autre qui ne passera pas inaperçu, The French Dispatch de Wes Anderson. Je suis moins sensible à ses manières chamarrées depuis le tournant The Royal Tenenbaums, qui affirmait à l’époque son style désormais légendaire. Ma préférence va pour ses deux premiers films, Bottle Rocket et Rushmore. Moins maniérés, moins millimétrés et donc plus aérés et digestes. Mais je dois admettre que là, il s’est surpassé. Avec ces tableaux parfaits, ce sens incroyable du détail, les costumes de Milena Canonero et ce casting complément fou, difficile de ne pas se laisser embarquer. Le résultat est un bel hommage aux journalistes, jusque dans la dédicace finale. Alors oui, ce film ressemble peut-être à tous les autres projets de Wes Anderson, mais si ça fonctionne sur moi (qui ne suis habituellement pas client), il est à parier que les inconditionnels seront comblés.
Cet état émotionnel ne s’applique pas aux malheureuses qui croisent la route des Précieuses, horde de dévotes tyranniques qui brutalisent les femmes trop libérées selon elles. Découvert par la Quinzaine des Réalisateurs, Medusa de Anita Rocha da Silveira, aux couleurs électriques et aux musiques synthétiques, porte un regard accusateur sur le Brésil de Bolsonaro et dénonce l’importance des évangélistes comme le retour des moralisateurs. Malgré une perte de rythme dans sa seconde moitié, Medusa fait passer un message très clair à la jeunesse de son pays. L’équipe a d’ailleurs profité de la présentation au Théâtre Croisette pour afficher des pancartes aux revendications bien plus pacifiques que dans le film.
Je te quitte, journal, et te retrouve demain pour une journée aux allures de vacances, puisque je n’ai que trois projections prévues. Elle débutera une nouvelle fois en Italie avec un film interrogeant la jeunesse sur son futur, d’ores et déjà situé aux antipodes du Moretti.
Matthieu Touvet
Crédits Photo : Bruno Reidal © Les Bookmakers / Capricci Films.