Journal de Cannes #1 – 11 Juillet 2021
Des couples parés pour un évènement qu’on imagine ultra-select croisent des groupes de vacanciers pieds nus, insouciants dans leurs maillots de bain ruisselants ; des habitués aguerris, enchapeautés et clairement pas là pour une après-midi plage, côtoient des visages rougis, manifestement fâchés avec leur pot de crème solaire, tandis que les fidèles adeptes d’une même secte arborent tous le même morceau de plastique autour du cou avec décontraction. Pas de doute, je suis bien arrivé à Cannes pendant le festival. Mon journal commence avec un (très) long-métrage en Compétition et quelques courts à la Semaine de la Critique.
Mon entrée en matière s’est faite avec un sérieux prétendant à la Palme, si l’on en croit les spécialistes : Drive My Car de Ryūsuke Hamaguchi. Ce réalisateur prolifique s’est fait remarquer avec sa série Senses ainsi qu’avec Asako 1 & 2, présenté au Festival de Cannes en 2018. Oui c’est mystérieux, oui, c’est délicat, et comme c’est tiré d’une histoire de Murakami, oui, tout cela met un peu de temps à se mettre en place pour mieux concentrer les émotions sur le dernier tiers. Mais après une nuit faite de réveils en sursaut, croyant toutes les heures avoir raté mon train très matinal, tant de mystères et de délicatesse, c’était peut-être ambitieux. Je ne dis pas que je n’ai rien compris, je dis juste que l’intrigue sentimentale toute en pudeur entre ce metteur en scène en recherche d’une direction, et son chauffeur, une jeune femme ayant elle-même des valises bien pleines, a eu du mal à me tenir éveillé. Au terme d’un visionnage comportant tout de même quelques absences, j’ai retenu, après quelques sublimes passages de théâtre en langue des signes, que les vivants sont sur Terre pour penser aux morts et que c’est en acceptant de se perdre qu’on finit par se trouver. Enfin, je crois.
Le temps d’une petite promenade sur la Croisette jusqu’au Miramar, je m’amuse de l’étanchéité des différents mondes cohabitant ici, le temps d’un Festival exceptionnellement juilletiste. La Semaine de la Critique présente en son fief la première partie des courts-métrages. Sur l’estrade, les équipes tout sourire de chacun des films témoignent de la vitalité de la relève internationale. Il y eut tout d’abord le Français Soldat Noir de Jimmy Laporal-Trésor, premier segment d’une oeuvre hybride dont le deuxième volet est un long-métrage actuellement en cours de tournage. Le film se replonge au mitan des années 80’s où l’on pleure la mort de Coluche et rit devant les Nuls. C’est aussi l’époque où une fracture sociale très forte est en train de se créer. Notre héros devra donc s’endurcir pour se faire respecter. C’est tendu et maîtrisé mais on déplore l’aspect trop démonstratif, insistant plus que ce qui est nécessaire sur des idées rapidement comprises. La suite ? Inherent, de Nicolai G.H. Johansen, dans lequel une créature sanguinaire et insatiable vampirise une adolescente, métaphorisant les tourments de cette tranche d’âge si délicate. Un film haletant et taiseux qui brille par son atmosphère poisseuse et son image saturée, comme dans un mauvais rêve. Le décor de Lili, toute seule est tout aussi cauchemardesque. Zou Jing nous emmène en Chine où les femmes n’ont pas encore d’autre choix que de se tourner vers des solutions extrêmes pour survivre. La projection fut marquée par un petit happening qui, s’il n’était pas improvisé, venait en tous cas du coeur, lorsque qu’une femme s’est mise à crier des revendications pour mettre fin aux pratiques des mères porteuses. Dans Safe, de l’Américain Ian Barling, un père (le génial Will Patton) doit prendre des mesures drastiques et sacrificielles pour remettre son fils dans le droit chemin. C’est nerveux et soigné, et il ne serait pas étonnant qu’une version longue voit le jour après cela. Enfin, la respiration de cet enchaînement pour le moins anxiogène nous vient de Suisse. Hors de l’eau, de Jela Hasler, filme avec spontanéité la vie d’une jeune femme moderne revendiquant sa liberté. Il y a une énergie folle dans cette histoire portée par une comédienne dont la fraîcheur rappelle celle de Vicki Krieps. Ça tombe bien, cette dernière revient dès demain dans ce journal.
Après cette première journée où courait le fil rouge de la résilience, je m’en vais reprendre des forces avant le programme réjouissant mais serré qui m’attend demain avec, en ouverture, Tre Piani de Nanni Moretti.
Matthieu Touvet
Crédits Photo : © Matthieu Touvet.