Grass : Aimer, exister, mourir
Des trois films de Hong Sang-soo sortis cette année, Grass est le plus ramassé (à peine plus d’une heure) et minimaliste (un café et une ruelle de Séoul sur une journée). Derrière cette économie de temps et d’espace, le plus prolifique des réalisateurs coréens signe toutefois son œuvre la plus riche et complexe de 2018.
Dans un petit café au bout d’une ruelle de Séoul, des hommes et des femmes se donnent rendez-vous pour parler de leur existence, d’amour ou échanger de funestes secrets. Ou peut-être que ce qu’ils partagent est en fait issu de l’imagination d’Areum, cette jeune écrivaine qui les observe au fond du café, cachée derrière son ordinateur ? Derrière ce petit résumé de Grass, on devine très vite les contours typiques des films de Hong Sang-soo, leurs petites malices pleines de nuances et de subtilités. Après le mélancolique Seule sur la plage la nuit et l’enchanteur La Caméra de Claire, Grass adopte néanmoins un ton plus grave.
Le spectre du suicide, de la culpabilité, de la lâcheté des hommes ou de la pauvreté inonde le récit mais ne l’étouffe pas. Car Hong Sang-soo n’use que très peu d’artifices et emploie le verbe et le hors champ plutôt que le pathos et les gros plans. La violence est contenue malgré quelques éclats. Et un café, un verre de soju, une cigarette ou des touffes d’herbes dans un pot aident délicatement à la conjurer. Les acteurs aussi, que le ballet des zooms de la caméra caresse pour y dévoiler la pureté des émotions : de la colère, des larmes puis des rires. Enfin il y a Kim Min-hee, cette Areum espiègle et voyeuriste, qui est d’abord un relais du spectateur avant de devenir un personnage du film. En premier lieu froide et en retrait, son commentaire juxtaposant les images, elle finira par sortir de son isolement et trinquer avec les autres.
Grass est un film intense malgré ses 66 minutes et se met étonnamment au diapason de la musique classique qui passe dans le café (Schubert, Wagner, Pachelbel,…) sans jamais paraître pompier. C’est d’avantage un jeu auquel s’adonne Hong Sang-soo, soulignant de lyrisme le tragique des situations. La musique devient de plus en plus forte, au point de recouvrir les voix des personnages. A moins que ce soit la musique dans la tête d’Areum, toujours en train d’imaginer et d’écrire. Ce retour incessant sur le personnage central du film contredit tous les habituels détracteurs blasés du maestro coréen. Car tout le dispositif est d’une richesse et d’une sophistication folle. Prenons par exemple l’usage du hors-champs. La plupart des dialogues sont filmés de manière à ce qu’on ne voit pas celui qui parle mais plutôt son interlocuteur. En mettant l’attention du spectateur sur le verbe, Hong sang-soo le place dans le même procédé d’écoute qu’Areum. Une idée de mise en scène parmi tant d’autres qui témoigne du génie du cinéaste. Sans même évoquer la beauté incandescente du noir et blanc qui ravive le souvenir des chefs d’œuvre aigres-doux The Day He Arrives et Le Jour d’après. Un ultime cadeau pour 2018.
Grass de Hong Sang-soo. Avec Min-Hee Kim, Jin-yeong Jeong, Saebyuk Kim. Drame. Corée du Sud. 1h06. 2018. Les Acacias. Sortie : le 19 décembre 2018.