Forever : Vers l’Infini, et en-deçà
Oscar et June s’aiment. Oscar et June ont un mariage sans histoire, qui atteint un point culminant de routine indéniable. De bonnes fées de la comédie se sont penchées sur Oscar et June. Alors, pourquoi – à l’exception d’un seul épisode de Forever – leur histoire s’avère être un des désenchantements les plus cuisants de l’année ?
NOTA BENE : cette critique ne contient pas de spoilers sur l’intrigue et les révélations-surprises de la série disponible dès aujourd’hui. Néanmoins, il est recommandé d’avoir vu au moins les 2 premiers épisodes avant de lire cette critique.
Alors que la série acclamée par la critique Master of None est en hiatus indéterminé et que la réception du public reste encore à confirmer au vu des accusations scabreuses sorties par les médias américains envers sa star Aziz Ansari, son co-créateur et autre poumon créatif, Alan Yang, vole de ses propres ailes. C’est lui qui est aux commandes Forever, la nouvelle dramédie Amazon Prime, aux côtés de Matt Hubbard (longtemps à l’œuvre sur 30 Rock). Soit huit petits épisodes avec des vétérans 3 étoiles de la comédie américaine, tous deux issus de « promotions » différentes du Saturday Night Live : Maya Rudolph et Fred Armisen. Pour créer leurs répliques, des scénaristes triés sur le volet, issus de 30 Rock ou de Master of None. Le principe ? Un couple de longue date, Oscar (Armisen) et June (Rudolph), semble voir la vie passer paisiblement et en parfaite harmonie. Avec tendresse, bons petits plats… Une certaine routine qui ne semble pas satisfaire June, qui cherche le meilleur moyen de les faire sortir de leur torpeur. Ce couple sans histoires se décide donc pour un séjour au ski à Aspen. Ce qui se passe ensuite ? C’est l’autre partie du concept de la série, celle que nous ne révèlerons pas et que les créateurs – tout comme Amazon – ont insisté pour ne pas éventer jusqu’à maintenant.
Le souci principal de Forever : ses épisodes durent une éternité pour, en définitive, ne pas dire grand-chose ou pour faire rire – ce qui n’est pas sa mission première. Malgré le timing comique d’une Maya Rudolph encore une fois impériale, la série traite bien de plonger un couple ordinaire du Sud paumé de la Californie dans des circonstances extraordinaires, voire inconnues. Et ces dernières… n’influent en aucun cas sur les intrigues, développements et dialogues ternes servis par des scénaristes clairement en panne d’inspiration. Grâce à une photo surexposant ses personnages plein pot et à des résidences pavillonnaires anonymes, façon Wisteria Lane hantée, la réalisation de Forever indique que l’identité de la série est bien réfléchie par ses créateurs. Mais faire ressembler sa série à un ersatz bon enfant d’un film d’Alexander Payne, malheureusement, est très loin d’être suffisant.
Pis encore : en dépeignant un mari trop gentil, une épouse frustrée qui cherche à s’aventurer au-delà de sa vie paisible, Forever coupe court à toute recherche de ton. Les personnages secondaires, la plupart incarnés par des vétérans du cinéma indépendant avec vivacité (encore une fois, pas de spoiler), viennent donner un cachet hippie totalement abscon. Si l’univers en apparence idyllique de Forever renferme souvent une réalité très dysfonctionnelle et terrifiante, à l’instar de projets récents comme The Good Place, les créateurs de la série ne veulent rien de plus que de passer quelques minutes à laisser flâner leurs personnages, les laisser se trouver. Ou pas. L’ennui est un atout dans Forever ; pour le téléspectateur, même aguerri aux explorations de l’Amérique de classe moyenne supérieure, c’est un supplice.
Et au milieu de tout cela, trône un épisode indépendant. Comme une lettre d’excuses. Le sixième de la série, celui qui abandonne, du moins en apparence, le principe de la série pour proposer une étude de personnages vibrante et futée. Une extension goûtue et romantique des meilleures interrogations de Master of None servie – très – fraîche. Cet épisode s’affirme sans ambages comme un des meilleurs de l’année. Dommage qu’il ne fasse qu’apporter une exception flagrante à un ensemble baignant dans la dramédie pleutre et les idées réchauffées. Alors qu’elle devrait pouvoir faire ouvrir les yeux au public peu au fait de l’excellent CV de Maya Rudolph, Forever n’est pas en mesure de redorer le blason des dramédies piquantes d’Amazon Prime, qui semblent de plus en plus perdues dans l’anonymat, ou simplement annulées, si l’on excepte la bientôt close Transparent.
Série créée par Alan Yang et Matt Hubbard. Avec Fred Armisen et Maya Rudolph. 8 épisodes de 30 minutes. Genre : paquet-surprise. Disponible sur Amazon Prime Vidéo le 14 septembre 2018.