On vous dit « films de banlieue », vous pensez à quoi ?
La rédaction passe le test
La banlieue : terme ambigu, masque de mille réalités géographiques, démographiques, sociales et culturelles. En somme, un haut-lieu de fantasmes pour les cinéastes qui ont, en France comme ailleurs, braqué leur caméra et posé leur regard sur cet espace protéiforme. Les sorties rapprochée de Dheepan (22 août), La Vie en grand (16 septembre) et Brooklyn (23 septembre) nous rappellent à quel point cet univers intrigue, fascine, interroge, émeut, secoue dans le cinéma français. Mais quand on pense « banlieue » et « cinéma de banlieue », on pense à quoi ? Au-delà des étiquettes, des réalités éclatées et des souvenirs de cinéma…
En France, la banlieue a mille visages : de la ville nouvelle à la banlieue rouge, de la ville périphérique parsemé de grands ensembles à la banlieue de l’intérieur (à Paris ou Marseille par exemple). Ailleurs aussi, elle prend des formes diverses, des inner cities de New-York ou Detroit aux quartiers ouvriers de Manchester et aux bidonvilles brésiliens, en passant par les suburbs pavillonnaires qui pullulent de par le monde. Des espaces à géographie variable, abritant des réalités sociales bien diverses, mais des populations souvent montrées à l’écran comme contraintes par l’écrin qui les accueillent. Depuis le tournant des années 1970-1980, en France, le mot « banlieue » s’est chargé d’une valeur restrictive pour se resserrer souvent, dans la conscience collective, sur les cités de banlieue. Des espaces méprisés, propices à bien des préjugés sur ses habitants et sur les faits divers qui peuvent s’y dérouler… Parfois le 7e art, loin de profiter du temps long de sa fabrication et de son format, a charrié les images déversées par la télévision au 20 heures. Avec plus de style, avec plus d’éclat, mais sans élargir l’horizon ou pousser la réflexion. Alors le cinéma, juste bon à attiser le feu ? Pas si simple. Il y en a des films sur ces cités : des productions « coups de poing » surexposées aux petits films discrets, produits sur un mode qu’on nomme pourtant guerilla (parce qu’on peut se battre pour le cinéma sans ériger l’écran en terre de violence).
Alors, la rédaction, quand on vous dit « cinéma de banlieue », vous pensez à quoi ? En tête de gondole, à n’en pas douter, La Haine tient le haut du panier. Les esprits ont été marqués, les VHS usées, les polémiques oubliées. Malgré la violence et le pessimisme, à cette référence on ne pourra couper. Pas si cliché, finalement, cette sonnette d’alarme, qui nous rappelle qu’entre 1995 et 2005, il ne s’était rien passé pour faire changer les cités. Et, entre 2005 et 2015, ça n’aura pas plus bougé, même si bien d’autres voix se sont élevées. Comme celles des femmes au franc-parler (Audrey Estrougo, Nora Hamdi, Géraldine Nakache…), celles des amuseurs (Fred Gastambide et ses Kaïra, la bande animée des Lascars), celles des poètes (Djinn Carrénard et son Donoma, Hicham Ayouch et ses Fièvres). Et tant d’autres, peut-être trop vite oubliées.
Alors, la rédaction, quand on vous dit « cinéma de banlieue », vous pensez à quoi ? De Richet à Kassovitz, de Cantet à Kechiche, de Corneau à Blier, depuis le tournant des années 1980, bien des films vous ont marqués. Autant de visions fortes et différentes d’un espace fantasmé, mais où des caméras se sont aussi arrêtées pour saisir une autre vérité. Si les films français restent bien gravé dans les esprits, quelques œuvres étrangères vous ont aussi secoué, qu’elles aient exploré cette banlieue nucléaire de la cité aussi bien que des espaces périurbains moins évidents à emprisonner dans les clichés.
Et vous, quand on vous dit « cinéma de banlieue », vous pensez à quoi ?
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Résultats du test :
10 – Ma 6-T va crack-er (Jean-François Richet, 1997)
Après le cri du cœur en noir et blanc d’État des lieux, film bref, ramassé, ciselé, Jean-François Richet enfonce le coup à grand renfort de flammes. Appel à l’insurrection citoyenne, Ma 6-T va crack-er brasse bien des clichés sur les cités et lorgne du côté du film de ghetto style Menace II Society (Albert et Allen Hughes), jusqu’à s’inspirer de la typo du titre. La vision pessimiste peut être décriée, mais son caractère prémonitoire ne peut être écartée. Pourtant, la réalisation parfois hasardeuse ne hisse pas Richet au sommet.
9 – Entre les murs (Laurent Cantet, 2008)
Paris, 20ème. On n’est pas en banlieue et pourtant… Si les élèves de Bégaudeau ne sont pas « enfermés dehors », comme Saïd dans La Haine, ils se sentent bien mis de côté à l’intérieur de la capitale. La grande ville ne leur donnerait-elle pas droit de cité ? Derrière les portes d’une salle de classe, les langues se délient pour une jeunesse multiculturelle en quête de repères et prête à en découdre avec le verbe haut. Les profs de ZEP ne cautionnent pas forcément, mais les échanges bruts auront marqué.
8 – Virgin Suicides (Sofia Coppola, 1999)
Loin de la noirceur des ghettos, la banlieue américaine, c’est aussi des suburbs où le mal-être envenime les âmes et les corps. Si la vision de ces quartiers version David Lynch a marqué bien des rédacteurs, qui citent souvent Blue Velvet dans leur top 10 individuel, celle de Sofia Coppola sera la seule à s’élever dans cette sélection collective. Un premier film hypnotique et lancinant, où l’on découvre que les belles façades cachent aussi bien des brèches et des êtres délabrés.
7 – Buffet froid (Bertrand Blier, 1979)
Grinçant et étonnant, Buffet froid fait la part belle au surréalisme pour montrer l’absurdité d’un espace périurbain où l’humain se perd dans des espaces aseptisés et labyrinthiques. La Défense comme on ne la voit plus jamais, Gérard Depardieu, Bernard Blier et Jean Carmet au sommet. Quand la tour remplace le terrain vague, le vague à l’âme guette. Et vogue la galère !
6 – L’Esquive (Abdellatif Kechiche, 2004)
Le papa de La Vie d’Adèle, Palme d’Or à Cannes en 2013, a toujours posé sa caméra sur des minorités. Avant de se pencher sur la communauté LGBT, le cinéaste français d’origine tunisienne s’était intéressé à la banlieue avec un groupe d’adolescents vivant dans une cité. Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux servait de caisse de résonance à un choc des cultures qui laisse des traces et s’affranchit de certains clichés. Entre douceur et brutalité, une proposition neuve et vivante.
5 – Série noire (Alain Corneau, 1979)
Comment un simple représentant de commerce de la banlieue parisienne, qui, après avoir perdu son emploi et avoir été quitté par sa femme, tombe dans la violence et dans la criminalité ? Alain Corneau retrace dans Série noire le complexe de classe et l’apparition des « cas sociaux », terme apparu à la fin des années 1970. Patrick Dewaere est magistral dans cette exploration poétique d’une banlieue où se cache la folie.
4- Lascars (Albert Pereira Lazaro – Emmanuel Klotz, 2009)
Probablement le seul et unique film d’animation qui traite de la banlieue et de ses « lascars ». Dérivé de la série animée éponyme de Canal +, Lascars est avant tout une succession de gags et de clins d’œil au monde du « ghetto », aux gangs et surtout aux bras-cassés. Des personnages littéralement hauts en couleurs, qui prouve que la banlieue n’est pas qu’un espace propice au drame.
3 – De bruit et de fureur (Jean-Claude Brisseau, 1988)
Interdit aux moins de 16 ans à sa sortie en salles, le film de Jean-Claude Brisseau est cru. Il raconte la descente aux enfers d’un garçon issu des cités HLM au niveau scolaire médiocre. De rencontre en rencontre, l’ado découvre la violence et voit sa vie se consumer comme un feu de paille. Un film qui dépeint sans concession la vie dans une banlieue des années 1980, soumise à l’exclusion, à la violence, à la délinquance et à l’échec scolaire, avec un sens poétique rare.
2 – La Cité de Dieu (Fernando Meirelles et Katia Lund, 2002)
Exploration sans concession des favelas, La Cité de Dieu secoue par sa violence et son caractère désespéré. Cette adaptation d’un best-seller autobiographique de Paulo Lins donne à voir une marginalité sociale à cent lieues de nos problématiques hexagonales. Mais quand on pense à une vision radicale des « lieux mis au ban », difficile de faire l’impasse. Un film pour relativiser.
1 – La Haine (Matthieu Kassovitz, 1995)
Véritable succès critique et public, La Haine est rapidement devenu un classique. Même si le film a pu faire polémique pour les mêmes raisons qu’il a séduit (sa radicalité), il reste une étape dans la façon dont le cinéma peut oser mettre la banlieue en fiction. Tout film est l’incarnation d’un fantasme, La Haine l’assume complètement. Cri du cœur et cri d’alarme né au lendemain d’une bavure policière, La Haine mélange les rires et les larmes dans un constat amer : l’important c’est pas la chute…