Festival Chéries-Chéris : Le point (G)
Quelques mois seulement après la tenue d’une édition 2020 différée en ligne (COVID oblige), le Festival de cinéma LGBTQ+++ Chéries Chéris était de retour du 20 au 30 novembre pour sa 27e édition. Les spectateurs se sont pressés dans les différents MK2 parisiens et de nombreuses salles se sont vues bien remplies, les cinéphiles ne boudant pas leur plaisir à l’idée de retrouver leur festival chéri “en présentiel”. Petit tour d’horizon des films qui m’ont le plus marqué lors de ce cru 2021.
Est-il encore besoin de présenter le Festival Chéries Chéris, installé à Paris depuis plusieurs décennies, dévoilant un panorama international de fictions, de documentaires et de court-métrages, témoignant d’identités aussi multiples que le promet sa belle affiche 2021 ? Ici, les petits sigles que l’on connait tous, qui expriment rapidement le genre (traditionnellement binaires : féminin-masculin) se déclinent sous de nombreuses formes inédites : bizarroïdes, colorées dans un dégradé rappelant le rainbow flag. Le tout dans un flou plus ou moins prononcé selon les zones de l’affiche. Le visuel est stylé sans pour autant agresser les yeux et le message est évocateur : navigue dans ce flou, compose-toi l’identité qui te plait, et surtout amuse-toi. En dix jours de festival, il y a de quoi faire. Le nombre de films projeté est si conséquent que chacun peut faire son petit programme selon les envies et les humeurs. Comme je fais ce qu’il me plait, mon expérience de festivalier s’est concentré sur la fiction et surtout sous la lettre G du sigle LGBT.
Tout à la fois de Alberto Fuguet
Dans ce documentaire, nous suivons le travail de Paco et Manolo, un couple de photographes à l’initiative du fanzine homo-érotique Kink. Nous découvrons les méthodes de travail de ce duo fusionnel dans l’intimité et au travail. Ils se connaissent par cœur, vivent et travaillent ensemble depuis une trentaine d’années. Nous assistons aux nombreux débats d’idées qu’ont ces deux-là, mais qu’on ne se laisse cependant pas tromper par la légèreté de la tenue de leurs modèles : ils prennent leurs discussions de travail tellement au sérieux que c’en est parfois comique ! Là où le documentaire devient touchant, c’est lors de ses scènes de shooting photo. D’une part, nous découvrons Paco et Manolo consciencieux, pudiques, presque dans la réserve. D’autre part, les modèles (des hommes, seuls ou en couple) se dévoilent dans l’œil des photographes, mais la mise à nu est plus vertigineuse encore pour eux lorsque le réalisateur du documentaire les surprend en changeant le dispositif filmique. Désormais habillés devant la caméra d’Alberto Fuguet, des questions leur sont posées sous forme d’interview, notamment sur les raisons qui les ont poussé à venir aujourd’hui de leur propre chef se dénuder pour Kink. Le portrait psychologique dressé est parfois vraiment émouvant : un rapport à son propre corps, à sa propre image, à l’autre, se révèlent. Une pudeur qui se dévoile là où on ne l’attendait pas.
Beyto de Gitta Gsell
Beyto, fils de parents turcs immigrés en Suisse, tombe amoureux de Mike, son professeur de natation. Ses parents, à qui il confesse son homosexualité, ne supportent pas cette nouvelle, craignant les qu’en dira-t-on. En conséquence, ils décident d’organiser un mariage arrangé en Turquie avec Seher, une amie d’enfance. Le film condamne bien sûr la réaction des parents de Beyto, qui par leurs agissements nient l’identité et la liberté de leur fils. Gitta Gsell retranscrit avec brio et précision la complexité des rapports au sein de la famille turque dont Beyto fait partie, et la difficulté de se soustraire à des traditions anciennes et conservatrices, documentées dans le film avec autant de recul que possible. La naissance de l’idylle et la quête de bonheur du couple Beyto/Mike nous passionnent par la subtilité du jeu d’acteur, mais l’originalité et la force du film résident en grande partie dans le personnage de Seher, l’amie d’enfance promise en mariage à Beyto. En effet, si celle-ci semble à l’origine conquise à l’idée de se marier, elle voit surtout dans cette union la possibilité de faire les études de ses rêves dans une grande ville en Suisse. Nous assistons donc à un dilemme moral : si Beyto la quitte pour aller vivre avec Mike, celle-ci sera reniée par sa famille et ne pourra pas suivre d’études. Ce personnage revêt de plus en plus de profondeur au fil du film et se rend empathique aux yeux du spectateur. Nous allons à la rencontre d’une jeune femme pleine de rêves, indépendante dans sa tête, mais arrêtée par les carcans de la société dans laquelle elle évolue. Une dynamique intéressante se crée entre Seher et le couple d’hommes ; un trio illustrant l’universalité de la quête du bonheur et de l’affirmation de soi.
The Man with the Answers de Stelios Kammitsis
Suite au décès de sa grand-mère dont il s’occupait, Victor décide de quitter la Grèce pour aller en Allemagne. On ne comprend pas trop ce qu’il va y chercher, d’ailleurs lui-même semble un peu perdu. Sur le ferry, il rencontre Matthias, un bel allemand à l’esprit vif. L’un est plutôt renfermé, peu loquace, l’autre est taquin et drôle. Malgré leurs différences de caractère qui leur vaut plus d’une prise de bec, Victor et Matthias embarquent ensemble pour un road trip dans les beaux paysages montagneux d’Italie. On ne sait pas trop où on va, la quête de Victor étant trouble au début, et son mutisme ne présage pas une attirance mutuelle. Mais très vite la magie opère ; on se laisse embarquer dans ce road trip au scénario simple et sans artifice, efficace dans sa mise en exécution. Là où Victor exprime peu avec son visage, la narration est prise en charge de manière savante par la mise en scène des corps, par leur insertion dans des décors eux aussi éloquents. Les images d’un corps esseulé, en quête de sens, insérées dans des plans larges, montrent un quotidien qui perd de son sens. À ces images succèdent des plans eux aussi larges et fixes où les deux corps du couple se rapprochent. Comme s’ils se complétaient. Comme s’il y avait là une évidence telle qu’elle se passe de mots. « Évident », un mot qui décrit bien ce film qui porte parfaitement son titre.
Moneyboys de Yilin Chen Bo
Fei, jeune homme originaire d’un petit village, se prostitue dans les grandes villes chinoises. Le film, présenté dans la sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes, est aussi poignant dans son geste esthétique que dans sa portée politique. Fei se trouve à l’intersection de deux mondes, celui de la Chine traditionnelle et rurale, qui rejette sans discussion son mode de vie, et celui d’une Chine moderne, celle des grandes villes où le capitalisme fait loi. Le jeune homme se trouve également entre deux grandes passions, l’une étant le grand amour originel évident, celui d’une vie, l’autre étant moins immédiat mais finalement si attachant. Chacune de ces histoires donne lieu à quelques scènes émouvantes et marquantes. Plusieurs images du film restent imprimées dans la rétine et donnent envie de le revoir. La photographie de Moneyboys, la gestion des mouvements de caméra, des décors, du jeu d’acteur, tout est esthétiquement déroutant. Les éléments de la mise en scène se convoquent pour créer une atmosphère originale dans laquelle nous nous sentons pleinement immergés. La caméra est souvent à distance des personnages avec des plans larges qui donnent à voir des décors chargés en éléments. Pourtant, le dispositif filmique nous fait sentir très proches de ses personnages. Il y a quelque chose de radical, de novateur, d’excitant même, dans la manière dont ce film est réalisé. Un sentiment de réalisme fort dû entre autres aux décors naturels (trouvés à Taïwan) qui se mêle à une certaine féérie, créée elle aussi par l’exotisme des lieux, la couleur saisissante de scènes hors du temps et les prestations des comédiens, qui viennent habiter des regards dans le vide et hanter les paroles comme les non-dits.
Crédits Photo : Affiche du Festival Chéries-Chéris, 27ème édition © D. R.