Désenchantée : peu de chaos, trop d’à-côtés
Comment la nouvelle création de Matt Groening pour Netflix, après Les Simpson et Futurama, peut-elle échouer à se différencier des autres cartoons ou même des comédies à l’antenne ? Un manque de cohésion et une paresse créative incurable semblent être les coupables tout désignés.
Au vu des exemples passés dans les annales de la comédie, une satire médiévale est un sous-genre assez difficile à louper. Il y a les modèles incandescents comme le Sacré Graal des Monty Python, Kaamelott plus près de chez nous, ou plus récemment, l’honteusement annulée Galavant, dans laquelle un chevalier lâche poussait la chansonnette chaque semaine. Ainsi, sur le papier, une relecture émancipée des contes où la princesse souhaite tout sauf une vie de château passée aux bras d’un prince charmant choisi pour elle, avait tout pour plaire. Qui plus est lorsqu’elle vient de professionnels aussi aguerris que Matt Groening, dont le dernier coup de poker est la désormais culte Futurama (le co-créateur de cette dernière, David X. Cohen est d’ailleurs également de la partie). Et si elle manquait d’inspiration, l’équipe n’avait qu’à piocher dans l’actualité récente sur la montée en puissance de l’obscurantisme religieux, des inégalités sociales et de l’exploitation humaine dans les sociétés occidentales – à commencer par leur propre pays.
Malheureusement Désenchantée et ses dix premiers épisodes (dix autres arriveront d’ici quelques mois sur Netflix) ne semblent en avoir cure. Bean (la voix d’Abbi Jacobson de Broad City en VO) prend la forme d’une post-adolescente va-t-en guerre, mais dont le manifeste émancipateur varie selon les humeurs des scénaristes. La plupart du temps, les intrigues tournent autour de ses caprices immatures déjà ringards avant même que l’avalanche de gags fasse son effet : une fête au château, un prétendant changé en cochon… Et ce ne sont pas ses deux acolytes, un elfe béat renonçant au bonheur éternel pour prendre en main sa propre destinée, Elfo (Nat Faxon) et un démon ressemblant à La Linea trempée dans du charbon, Luci (un Eric André totalement neutralisé) qui vont l’amener vers des aventures plus drolatiques.
Le souci de la série n’est pas son aspect esthétique, professionnel, carré et reprenant le style Groening adulé par des millions de téléspectateurs, mais bien son profond manque d’énergie. Alors que Les Simpson adopte la foison de gags depuis des décennies, Désenchantée prend un malin plaisir à revenir à un rythme de sitcom où les vannes durent quelques secondes de plus, que ce soient les chutes, les anecdotes ou encore les personnages s’éloignant de la caméra les fesses à l’air. Des incartades assez pantouflardes qui pourraient être pardonnées si elles ne tombaient pas à plat les trois quarts du temps. Alors que Futurama n’hésitait pas à puiser dans le canon de la science-fiction, l’univers de Dreamland semble arriver au moins une décennie trop tard, et peine à trouver un angle suffisamment affûté pour que ces histoires vaillent la peine d’être suivies. Désenchantée s’attache avant tout à ne pas faire trop de vagues, remémorant ça et là avec des jeux de mots malins que son équipe créative n’est pas incompétente ; mais elle est le fruit des Rolling Stones de l’animation. Des pionniers qui n’ont plus rien à prouver et ne se sentent pas concourir avec le high-concept névrosé d’un Rick & Morty. Ni pochade Monty Pythonesque, ni commentaire social saillant et poil à gratter, Désenchantée se contente juste d’exister, ou plutôt de mariner dans son autosatisfecit. Un coup d’épée dans l’eau.
Désenchantée, créée par Matt Groening. Genre : animation selon mon oncle ringard des dîners de famille. Avec les voix d’Abbi Jacobson, Nat Faxon, Eric Andre. 10 épisodes (partie 1) disponibles sur Netflix depuis le 17 août.