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Toutes pour une : Soeurs d’Arme

Dix ans après son entrée fracassante dans le cinéma, en raflant la Caméra d’or et trois Césars avec le très puissant Divines, et après un passage par le documentaire et la série, Houda Benyamina livre son deuxième long-métrage de fiction, une adaptation au féminin des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas.  

Sara, une jeune Morisque retenue prisonnière, est libérée par trois mousquetaires à la recherche de la reine de France, ayant fui pour l’Espagne. En se joignant à leur quête, elle découvre vite leur secret : les Trois mousquetaires sont des femmes. Endossant à son tour une identité masculine, elle connaîtra auprès d’elles l’aventure, le danger et l’amitié.

Le film n’était pas encore sorti qu’il était déjà la cible de nombreuses critiques et de notes catastrophiques sur les sites de notation (AlloCiné et SensCritique) taclant son supposé « wokisme » en se basant uniquement sur sa bande-annonce. De telles opérations de sapage d’une œuvre avant sa distribution ont déjà fait parler d’elles pour des films aux idéologies dérangeant cette frange de la droite, notamment pour les films Avant que les flammes ne s’éteignent de Medhi Fikri (Bac Films) ou encore Rodéo de Lola Quivoron (Les Films du Losange). Mais alors, Toutes pour une est-il le brûlot woke et radical annoncé (et dénoncé) par une frange d’internautes ?  L’adaptation de Benyamina, assistée à l’écriture par Juliette Sales et Fabien Suarez, offre-t-elle un nouveau regard sur ce roman maintes fois porté à l’écran ?

Tout d’abord, la photographie du film, signée par Christophe Voudouris, frappe par sa beauté. Visuellement, on peut parler d’une vraie réussite. Le soin apporté aux lumières, que ce soit dans les grands espaces naturels baignés par le soleil ou la brume, au coin du feu dans un campement ou à la lueur des bougies, magnifie les comédiennes, sculpte leurs visages salis par la poussière et offre un écrin formidable au film de Benyamina.

Il y a du western dans ce film de cape et d’épées, tant dans les choix de cadrages, les attitudes et les costumes des personnages, que dans les décors extérieurs, ouverts, rocailleux et immenses. Ce mélange des genres fonctionne étonnamment bien et apporte un regard nouveau et inattendu sur l’œuvre de Dumas.

Les choix musicaux participent à cette ambiance et à cette envie de renouveau, et on peut même penser au Django Unchained de Tarantino lors de la scène d’introduction des protagonistes. Mais la présence trop récurrente de la musique dessert parfois le film. Si quelques morceaux sont bien choisis, les émotions sont parfois noyées sous des chansons qui les soulignent lourdement plutôt que de les accompagner. La musique empiète jusque sur les combats chorégraphiés par la comédienne et danseuse Thi-Mai Nguyen, qui restent malgré tout impressionnants et fluides, mais qui auraient pu gagner en impact sans cette bande son envahissante.

Côté casting, Houda Benyamina retrouve deux des comédiennes de Divines et les entoure de deux nouvelles têtes pour former sa bande de mousquetaires. La réalisatrice confirme ici son talent pour la direction d’acteur•ices. L’alchimie entre les actrices est palpable et leur amitié, leur camaraderie, plus que crédible. On sent qu’elles s’amusent et que leur investissement est total.

Déborah Lukumuena s’impose une nouvelle fois comme une grande actrice, maniant ses talents comiques à la perfection et jouant de sa présence physique avec habileté, dans le rôle du puissant Portau. Il est peut-être regrettable cependant que son personnage se limite souvent à ce comic relief, lorsqu’on connaît la palette de jeu de l’actrice.

Oulaya Amamra livre une interprétation très juste. Chacun de ses regards fait mouche et son aisance avec le verbiage des dialogues parfois très écrits, typiques du film d’époque, est remarquable. 

Sabrina Ouazani, malgré un rôle moins développé que ses comparses, impressionne par son charisme et son aisance. En peu de répliques, la comédienne impose une présence forte et campe un Athos complexe, loyal, jaloux et habile.

Daphné Patakia hérite du personnage le plus intrigant, le plus ambigu du film. Du passé d’ Aramitz on ne saura rien, rien de l’origine des marques sur son dos, rien de sa rencontre avec ses compagnes et pourtant, avec une grande subtilité, la comédienne laisse deviner des failles profondes, un amour contrarié pour la reine et une certaine fragilité derrière une façade de leader sans crainte. Les scénaristes livrent peu d’informations sur ce personnage,  pour construire un Aramitz mystérieux. Pourquoi pas, mais on regrette quand même un manque de profondeur dans le traitement de ce personnage prometteur, qui restera finalement peu étoffé, et dont On ne peut que spéculer sur ce qu’il aurait pu apporter en terme de représentation queer avec un peu plus d’audace dans l’écriture.

© UGC DISTRIBUTION

Là où le film pèche, c’est dans son exploitation trop superficielle des thèmes qu’il tente d’aborder. Car si le travestissement est au cœur du film, la réflexion sur le genre qui aurait pu l’accompagner reste trop supeficielle. Certes, les héroïnes ont accès à une forme de liberté qui leur aurait été interdite sans leurs postiches et bandages, mais finalement la question de la condition féminine (à l’époque ou aujourd’hui) n’est pas tellement au centre des préoccupations de ses sœurs d’armes. Leur ressenti sur ce travestissement, en quelque sorte forcé, n’est jamais réellement abordé, ou alors seulement à coup de formules choc : « Avec une bite on a moins peur ».  On ne saura rien des regrets ou des sacrifices que ces déguisements provoquent dans la vie de nos mousquetaires, ou au contraire, de l’euphorie peut-être ressentie en étant perçus comme des hommes. Finalement la transformation des corps sous les bandages, les postiches et les packers (faux pénis) ne fait l’objet que de rares scènes plus démonstratives qu’émotionnelles. On a quand même là des personnages travestis, qui combattent et chevauchent pendant des jours, qui prennent un grand soin à rendre crédible leur apparence mais qui apparaissent épilés à l’écran, mettant à mal non seulement leur crédibilité mais également l’esthétique suante et poussiéreuse de western instaurée par la réalisatrice. 

On peut aussi regretter le traitement trop timide de la question du désir des personnages, amorcée trop brièvement vers la fin du film. Pourtant, le possible désir lesbien d’un des mousquetaires pour la reine, et celui confirmé d’un autre, auraient pu enrichir l’exploration du genre et de l’identité qui semble être à l’origine du scénario, donner du corps  et une individualité à ces personnages qui souffrent d’une écriture trop superficielle (ou d’éventuelles coupes au montage) rendant l’empathie difficile pour le spectateur.

De même pour l’héritage culturel de son personnage principal, Sara, une Morisque, donc une musulmane d’Espagne persécutée dans son pays et en France et menacée à tout moment pour sa foi. L’importance qu’aurait pu occuper cette foi dans la vie de Sara, son attachement aux enseignements et aux préceptes de sa religion, cette part essentielle de son identité…Tout cela est trop rapidement évincé du scénario, mis de côté après une unique scène de prière. De même, la question de son exil forcé, qui aurait pu résonner de façon contemporaine, et offrir encore une opportunité de se réapproprier le roman de Dumas, est presque totalement esquivée. Dommage pour ce personnage qui aurait gagné en profondeur et pour le scénario qui aurait pu bénéficier d’une dimension politique affirmée.

Malgré tout, une scène ose aller plus loin que les autres, jouant sur un équilibre fragile entre second degré et propos politique, lorsque deux des mousquetaires ordonnent à un noble de se laisser aller à ses émotions, car même s’il est un homme, il doit s’autoriser à pleurer. Elle est peut-être là, la grande scène marquante du film.

Houda Benyamina livre donc une relecture de l’œuvre de Dumas à l’image soignée et remarquablement  bien servie par son casting,  mais finalement bien trop sage. On regrette qu’avec tant de bons éléments (casting, décors, photo) et avec un parti pris fort, la réalisatrice ne fasse qu’effleurer son sujet, n’osant jamais aller assez loin et livrant un film finalement trop timide malgré l’audace annoncée. Trop sérieux pour être tout à fait une comédie, trop second degré pour porter son message féministe avec force, puisant dans l’esthétique queer sans jamais s’en saisir totalement, le film oscille toujours entre les tons sans jamais vraiment trouver le sien.  

Réalisé et écrit par Houda Benyamina. Avec Oulaya Amamra, Déborah Lukumuena, Sabrina Ouazani… France. 1h35. Genre : Drame. Distributeur : UGC DISTRIBUTION. Sortie le 22 Janvier 2025

Toutes Pour Une © UGC DISTRIBUTION

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