The Bear : Cauchemar en Cuisine
Ayant fait grand bruit outre-Atlantique après sa diffusion sur FX et Hulu en juin dernier, la série aux petits oignons The Bear débarque enfin dans l’Hexagone via la plateforme Disney +. Une pépite chaudement recommandée qui plonge le spectateur dans le quotidien mouvementé d’une sandwicherie de Chicago.
Carmen « Carmy » Berzatto (Jeremy Allen White), jeune chef prodige passé par le restaurant californien étoilé The French Laundry (La Lessive Française), est tout juste de retour dans son Chicago natal pour reprendre la sandwicherie familiale suite au suicide de son frère. Sur place, il fait face aux responsabilités écrasantes de l’établissement, aux piles de paperasse et de dettes laissées par son aîné, à un personnel désorganisé et récalcitrant, ainsi qu’au traumatisme du drame qui a fait chavirer sa famille. Malgré ses crises d’angoisse récurrentes, Carmen va tenter coûte que coûte de remettre à flot cet établissement, qui rendrait probablement fou Philippe Etchebest s’il y faisait un saut pour son émission Cauchemar en Cuisine. Et de cauchemar, il est bel et bien question dans cette série sous pression. Le premier épisode s’ouvre en effet sur l’un des songes sinueux du jeune chef Carmy, dans lequel il se retrouve sur un pont, en pleine nuit, face à un ours menaçant. The Bear (L’Ours) laisse tout juste le temps à son protagoniste de se réveiller que nous voilà jetés directement dans la marmite bouillonnante de l’Original Beef Of Chicagoland. Avec son montage cut et sa cadence effrénée, le pilote laisse le spectateur trouver seul sa place dans la frénésie d’une cuisine en plein service. Des plans rapides s’enchainent sous nos yeux, captant les bribes de conversations (et d’injures) entre les différents employés en sueur, les bruits sourds des multiples ustensiles de cuisine en mouvement perpétuel et les aiguilles de l’horloge qui défilent à une vitesse folle avant l’arrivée des clients. La bande originale omniprésente aux tonalités électriques permet également de mieux saisir la fièvre et le chaos qui règnent dans cette cuisine aussi bordélique qu’exiguë.
Au fil des épisodes, les enjeux des différents personnages sont constamment remis sur le grill, tandis que la tension est relancée en permanence par le biais des crises de nerfs inévitables et d’une accumulation de tous les fléaux possibles et imaginables qui puissent frapper une petite entreprise de quartier. Dans l’adversité, les personnages s’agacent, s’engueulent, claquent la porte, reviennent, font des erreurs et avancent, sans faire toujours front. De bordel haletant, la série se mue progressivement en une fresque fascinante peuplée de personnages hauts en couleurs, parfaits dans leur imperfection. Et là où la mise en scène choisit la plupart du temps l’énergie et la rapidité, elle s’autorise parfois des pauses, le temps d’une cigarette, d’une confidence ou d’un coup de téléphone, laissant éclater toute l’émotion que nous n’avons pas encore eu le temps d’évacuer en amont. L’épisode sept s’offre même un lancinant plan-séquence de vingt minutes qui fait presque oublier le renversant The Chef (2021) de Philip Barantini, tourné en un unique plan-séquence et évoquant lui aussi, comme son nom l’indique, les aléas d’un restaurant.
The Bear brille également par son casting, Jeremy Allen White en tête. En campant un jeune chef idéaliste hanté par la toxicité de ses anciens patrons et animé par une passion dévorante, le comédien livre une performance époustouflante dont l’authenticité nous poursuit longtemps après le binge-watching. Les seconds couteaux ne sont pas en reste, à commencer par Ayo Edebiri, qui parvient à allier la fragilité et l’ambition de son personnage Sydney, cheffe aussi talentueuse qu’impatiente. On s’attache également à Lionel Boyce en pâtissier obnubilé par la réalisation d’un donut parfait et à Liza Colon-Zayas, vétérante passive-agressive qui n’apprécie pas qu’on empiète sur ses fourneaux. Quant à Ebon Moss-Bachrach, dans la peau du colérique Richie, meilleur ami du feu frère de Carmen, il est aussi émouvant que pathétique. Matty Matheson, célèbre chef et restaurateur canadien, est aussi de la partie dans la peau de l’amical Fak, l’homme à tout faire candide. La série rassasie autant qu’elle laisse sur sa faim lors de son happy-ending un peu facile qu’on finit ceci dit par apprécier avec du recul. The Bear est une expérience sensorielle puissante dont on ressort aussi fatigués qu’impatients à l’idée de découvrir la suite des aventures de l’Original Beef Of Chicagoland. Cette première saison est une entrée en matière brute, si inoubliable qu’elle fait déjà redouter le dessert, et la fin des aventures de la brigade du chef Carmy.
Créée par Christopher Storer. Avec Jeremy Allen White, Ebon Moss-Bachrach, Ayo Edebiri… États-Unis. 8 Épisodes x 30 Minutes. Genres : Comédie, Drame. En Intégralité sur Disney + depuis le 5 Octobre 2022.
Crédits Photo : © Frank Ockenfels/FX.