Sweet Thing : Petits fugitifs
Cinq ans après Little Feet, Alexandre Rockwell met à nouveau en lumière sa progéniture devant la caméra. En résulte un drame familial hybride à l’intemporalité captivante.
New Bedford, Massachusetts. Billie (Lana Rockwell), jeune adolescente de 15 ans, et son petit frère Nico (Nico Rockwell) luttent pour trouver leur place dans une famille dysfonctionnelle. Partagés entre un père (Will Patton) aimant mais alcoolique et une mère (Karyn Parsons) partie avec un petit ami violent (ML Josepher), leur vie oscille entre malaises et incompréhensions. Lors d’un été mouvementé, ils rencontrent l’intrépide Malik (Jabari Watkins) et décident de fuguer à ses côtés afin de vivre leur propre aventure.
Sweet Thing démarre par une ouverture à l’iris vintage laissant apparaître nos deux jeunes protagonistes en train de crever les pneus d’une voiture pour gagner quelques sous. Filmées en noir et blanc avec une caméra Super 16 mm, ces premières minutes nous rappellent instantanément le petit Jackie Coogan dans The Kid (1921) de Charlie Chaplin. Une autre référence, plus évidente, arrive plus tard dans le film avec l’utilisation du morceau Gassenhauer de Carl Orff, lors de la virée en voiture des petits fugitifs, qui nous ramène inévitablement au périple de Sissy Spacek et Martin Sheen dans La Balade Sauvage (1973) de Terrence Malick. Deux références cinématographiques pas si anodines : la première traitant les aléas difficiles d’un enfant livré à lui-même et l’autre magnifiant une folle cavale vers la liberté. La bande originale de Sweet Thing est par ailleurs un petit bijou. Alexandre Rockwell m’a fait sourire (et serrer le gosier) à chaque nouvelle note de musique entendue : du piano mélancolique de Ólafur Arnalds au flottant An Ending de Brian Eno, en passant par les groupes Sigur Rós et Bailey’s Nervous Kats, le réalisateur a fait grand bien à la mélomane que je suis. Il rend également hommage à Billie Holiday, dans sa bande son mais également par le biais du prénom de son personnage principal. Billie (la jeune fille) voit d’ailleurs apparaître la chanteuse emblématique à plusieurs reprises, comme une sorte d’ange gardien dans les moments où son père vacille sous l’effet de l’alcool.
Filmé à hauteur d’enfant, Sweet Thing oscille habilement entre séquences de complicité et de cruauté, appuyées par l’esthétique monochromatique brute de l’image. De rares scènes en couleurs ponctuent le film, à l’arrivée notamment de l’extraverti Malik, mais aussi lorsque Billie semble sortir (physiquement ou/et mentalement) la tête de l’eau. Malgré des séquences éprouvantes, on sent que le film a été fait avec beaucoup d’amour et de complicité par son équipe : Alexandre Rockwell ayant pris comme comédiens sa femme Karyn Parsons, ses enfants Lana et Nico, et son ami de longue date Will Patton (brillant dans son rôle) devant la caméra, et des collaborateurs de longue date comme d’anciens étudiants du réalisateur derrière l’objectif. Le cinéaste n’éprouve pas le besoin de justifier le parti pris radical, et récurrent, de la présence de ses proches devant la caméra. Mais il parvient selon moi à trouver la bonne distance avec ses comédiens sans jamais entrer dans le voyeurisme. Cette petite pépite du cinéma américain indépendant revêt par ailleurs des allures intemporelles avec son grain visuel, et son histoire hors du temps (ni jeu vidéo, ni portable, ni technologie ne permettent de dater l’époque du film), tout en restant ancrée dans une réalité contemporaine. Une chronique familiale touchante, expérimentale et créative dont je n’attendais rien… Et qui m’a finalement beaucoup donné.
Réalisé par Alexandre Rockwell. Avec Will Patton, Lana Rockwell, Nico Rockwell… États-Unis. 01h31. Genre : Drame. Distributeur : Urban Distribution. Sortie le 21 Juillet 2021.
Crédits Photo : © Urban Distribution.