Little Zombies : Multivers cinématographique
Premier long métrage de Makoto Nagahisa, Little Zombies s’est vu privé de sortie en salles avant d’être récupéré par OCS. Un multivers cinématographique aussi loufoque que divertissant.
Le hasard des choses, si ce n’est le destin, fait que Hikari, Ikuko, Ishi et Takemura, quatre adolescents, se rencontrent pour la première fois dans un crématorium. Les protagonistes s’y retrouvent en effet au même moment pour les mêmes raisons : leurs parents viennent de mourir. Certains sont morts de malheureux accidents, d’autres par suicide, d’autres assassinés. Hikari, Ikuko, Ishi et Takemura pourraient partager leur peine, mais n’éprouvent rien de tel. Ils le disent eux-même, ce sont des zombies “qui ne ressentent rien du tout”. Plutôt que de basculer précipitamment dans l’âge adulte, poussés à sortir grandis d’une telle épreuve, ils préfèrent rester des enfants. À leurs yeux, les adultes sont des créatures amorphes, une autre sorte de zombies à laquelle ils ne parviennent pas à s’identifier. Les orphelins décident alors de chanter leurs malheurs et de fonder un groupe. Leur première chanson publiée sur Youtube crée le buzz et les entraîne dans un battage médiatique qui les rapproche malgré eux du monde des adultes qu’ils fuyaient.
Il s’agit du premier long-métrage de Makoto Nagahisa, réalisateur à l’univers singulier et loufoque, passionné de musique et auto-proclamé immature. L’immaturité de sa vision du monde se traduit par un film ultra coloré, survitaminé, constamment illustré par de la chiptune music (genre musical caractérisé par des sons synthétisés issus des cartes audio de consoles de jeu vidéo ou d’ordinateurs). La vision enfantine du réalisateur se ressent dans la forme du film, l’histoire étant structurée selon des niveaux de difficulté, comme dans un jeu vidéo. Chaque « niveau » présente clairement des objectifs, des obstacles et un boss final à éliminer. Une vraie leçon d’écriture de scénario rendue ludique. Chacun de ces chapitres nous emmène dans un effort de mise en scène radicalement différent du précédent, nous offrant une proposition sonore et visuelle déroutante. On se laisse aller avec plaisir d’un tableau à l’autre si l’on accepte de ne pas forcément tout comprendre. En effet, les univers différents se multiplient au cours de ces deux heures de film sans le moindre temps mort : chaque scène a une humeur, un décor, une tonalité de couleur, des effets sonores et des effets de caméra qui lui sont propres. On arrive à une telle accumulation d’idées de mise en scène et de propositions de narration qu’il est normal de ne pas avoir le temps de tout digérer ni de parvenir à tout analyser.
On sent pourtant rapidement que la naïveté apparente du point de vue proposé par le cinéaste et le geste de mise en scène très pop n’empêchent pas le traitement en profondeur de sujets graves, mais aussi d’offrir un regard cynique et désabusé sur la société actuelle. Certains de nos comportements sont pointés du doigt et paraissent risibles par le prisme du regard enfantin. Makoto Nagahisa n’hésite pas à critiquer les paroles et les actions des adultes, et cela passe par un humour noir assez jouissif. Mais le message de fond véhiculé par la fin de Little Zombies peine à émerger tant les derniers chapitres s’accumulent et se suivent sans vraiment parvenir à mettre un point final au film. Un peu comme dans un jeu vidéo : on croit avoir tué le boss final, mais voilà que le “boss méga-ultime” renaît de ses cendres. Ceci dit, le film est si divertissant et bien réalisé qu’on vient à bout de tous ses « boss finaux » avec plaisir. L’ensemble est aussi fun qu’une comédie musicale (le côté transgressif en plus), et comme pour beaucoup d’entre elles, on peut parler de prouesse technique dans la réalisation. On imagine sans peine le travail colossal que la direction artistique, et musicale (plus de 90 chansons en deux heures de film) ou encore la conception du story-board ont dû demander !
Au final, cette vaste éducation sentimentale présente une palette émotionnelle extrêmement variée, parfois au risque de la saturation. Dans cette œuvre où tant d’humeurs multiples s’enchaînent d’une scène à l’autre, on peine à ressortir du visionnage avec un sentiment dominant qui imprimera durablement la mémoire. Ce qui impressionne le plus dans ce long-métrage est davantage la proposition esthétique radicale et l’humour mordant dans la narration, plutôt qu’un message de fond général qui peine à se faire entendre.
Réalisé par Makoto Nagahisa. Avec Keita Ninomiya, Satoshi Mizuno, Mondo Okumura… Japon. 02h00. Genres : Drame, Comédie musicale. En exclusivité sur OCS depuis le 23 Juin 2021.
Crédits Photo : © Stray Dogs.