Le Milieu de l’Horizon : Bad Summer
Pour son deuxième long métrage, la réalisatrice suisse Delphine Lehericey adapte le roman éponyme de Roland Buti, paru en 2013, et livre un coming of age aussi suffocant que bouleversant.
Le Milieu de l’Horizon se déroule lors de la grande sécheresse de 1976. Gus (Luc Bruchez) quitte l’enfance en passant l’été le plus catastrophique de sa vie. Alors que la nature se désagrège autour de lui, le jeune homme voit également sa famille éclater en mille morceaux. Entre son père agriculteur (Thibaut Evrard) qui perd progressivement ses terres, ses bêtes et son sang froid à cause de la canicule, son cousin gênant et simplet Rudy (Fred Hotier) et sa mère (Laetitia Casta) qui (re)trouve fraîcheur et passion dans les bras de Cécile (Clémence Poésy), Gus perd pied et entrevoit avec aigreur le monde que les adultes vont lui laisser. Un monde que nous connaissons aujourd’hui, où la fragilité de la nature face aux changements climatiques est maintenant évidente, où l’agriculture se gangrène et ne rapporte plus d’argent, où les relations de couple ne sont plus régies par le mythe de la famille traditionnelle et où la place des femmes a changé. On oublie en effet totalement la temporalité du film, tant les enjeux scénaristiques sont contemporains. Seuls des éléments du décor, comme une vieille mobylette ou de vieux magazines érotiques, viennent nous rappeler que nous sommes dans les années 1970.
Si l’on parcourt des kilomètres de champs et de routes rurales à pied, à vélo ou en moto aux côtés de Gus, Le Milieu de l’Horizon revêt pourtant des airs de huis clos à ciel ouvert. La caméra, au plus proche du jeune homme, place le spectateur à hauteur de cet enfant qui subit de plein fouet l’écroulement du noyau familial et de son univers, qui se transforment sous ses yeux tristes et perdus. Impuissant, le jeune homme ne peut que contenir sa colère face à l’implacabilité de ces bouleversements soudains. L’atmosphère brûlante et plombante de la sécheresse n’arrange par ailleurs rien : les personnages transpirent constamment, changent de vêtements trois fois par jour, suffoquent en cherchant un coin d’ombre constamment et sont sans cesse irritables. Le tout dans une période où l’eau n’a pas tardé à manquer. Une ambiance lourde également mise en avant par le biais des animaux, souvent mourants, qui font partie intégrante du quotidien de la famille. Un chien attaché qui glapît à longueur de journée, le vieux cheval blanc du grand-père qui décide de vivre ses derniers instants à l’ombre dans son ancien pâturage, les poules du père qui meurent par dizaine chaque jour à cause de la chaleur… Tout vivote ou meurt autour de Gus.
Mais tout n’est pourtant pas si cramé, puisque le film évoque aussi l’amour et ses sentiments incontrôlables, par le biais de l’idylle entre Nicole et Cécile, mais aussi par la relation brute au départ, puis plus douce sur la fin, entre Gus et Mado (Sasha Gravat Harsch), la « fille perdue » du village qui n’a jamais connu son paternel. En traversant ses tourments familiaux et cet été insoutenable, le jeune homme finit par grandir et apaiser son cœur en totale perte de repères. Cette période charnière se clôt après l’arrivée des orages tant attendus qui, s’ils n’arrangent pas tout, rafraîchissent l’atmosphère et laissent présager une renaissance lente après l’enfer de la canicule et de l’été qui s’achève. On ressort du Milieu de l’Horizon fatigué et essoufflé, mais finalement plein d’espoir pour ce jeune homme entré dans l’adolescence avec fracas. Quant au monde dépeint, Delphine Lehericey nous secoue (si tant est qu’il faille encore le faire) sur l’état actuel du monde laissé par nos ancêtres et nous-mêmes. Une histoire bouleversante et universelle, entre réalisme et onirisme, qu’il vaut mieux découvrir hors saison chaude.
Réalisé par Delphine Lehericey. Avec Luc Bruchez, Laetitia Casta, Clémence Poésy… Suisse, Belgique. 01h32. Genre : Drame. Distributeur : Outplay. Sortie le 20 Octobre 2021.
Crédits Photo : © Outplay.