La Nuit du 12 : L’enfer, c’est les hommes
À la Police Judiciaire, il arrive parfois qu’un enquêteur tombe sur un crime insoluble qui le hante. Dans le dernier thriller de Dominik Moll, il s’agit du meurtre de Clara, jeune femme de vingt-et-un ans retrouvée brûlée vive dans la banlieue de Grenoble. L’affaire est immédiatement transmise à Yohan (Bastien Bouillon), le nouveau chef de la PJ, et son collègue Marceau (Bouli Lanners) qui héritent de la lourde tâche de comprendre ce qu’il s’est réellement passé la nuit du douze… Dominik Moll et son co-scénariste Gilles Marchand (déjà à l’œuvre sur Harry, un ami qui vous veut du bien et Seules les bêtes notamment) détournent dans cette adaptation d’un fait divers le genre littéraire du whodunit, roman policier structuré en énigmes popularisé entre autres par Agatha Christie, où le spectateur, comme les personnages, sont en quête du/des coupable(s). Seulement ici, la couleur nous est annoncée dès le carton d’ouverture : « Chaque année, plusieurs dizaines d’enquêtes de la police judiciaire ne sont jamais élucidées. En voici l’une d’entre elles ». Il ne s’agit donc pas d’une enquête mais du récit d’un personnage progressivement submergé par un flot d’indices qui mènent tous à des incompréhensions, des doutes et des fausses pistes.
Le film joue sur une forme d’ensorcellement lugubre. Plusieurs plans d’ouverture, en surimpression, nous présentent un univers semi-apocalyptique de la banlieue grenobloise. En utilisant d’avantage la longue focale (type d’objectif rapprochant l’objet filmé du décor et plaçant par la même occasion le locuteur dans le flou et l’auditeur dans le net), l’intention de la mise en scène est limpide : les enquêteurs, ne sachant pas vers quelle piste se tourner, se retrouvent progressivement isolés, séparés dans les différences de netteté qui les enveloppent jusqu’au générique final. Contrairement à d’autres films traitant du fonctionnement de la police (hello Bac Nord), La Nuit du 12 échappe au misérabilisme, préférant jouer plutôt sur l’état physique et mental des fonctionnaires par le biais de gags cyniques (l’imprimante bidouillée qui ne marche pas, la discussion sur les heures supp’ avec le petit nouveau…). Pour autant, le film nous montre des êtres fantomatiques et froids face à l’horreur à laquelle ils doivent faire face. Ne dévoilant aucun sentiment, leur métier ne les quitte jamais, que ce soit le soir lorsqu’ils rentrent chez eux ou lors d’un déjeuner sur leur temps libre entre collègues (l’annonce des fiançailles d’un policier à sa brigade transforme le moment en interrogatoire).
Yohan est par ailleurs l’archétype de l’enquêteur sans âme, lui qui semble voler constamment au-dessus des abominations qu’il côtoie. Son professionnalisme se mêle à sa détermination à vouloir absolument terminer son enquête, ce qui impacte son calme olympien. Yohan ne cherche pas à trouver le coupable mais à se débarrasser de ce fantôme qui le hante, celui de sa première mission en tant que chef de la PJ. Souvent, il a l’impression d’être dans un cercle vicieux où les interrogatoires s’enchaînent comme les tours de piste qu’il parcourt passionnément au vélodrome. Une boucle hypnotique sublimée par les thèmes musicaux d’Olivier Marguerit (également compositeur de la bande originale d’Onoda – 10 000 nuits dans la jungle) et par l’image de Patrick Ghiringhelli (Chouf), jouant sur la saturation des couleurs qui crée un contre-pied avec l’aspect terne et morbide de l’histoire. Le choix de Bastien Bouillon pour ce rôle est excellent tant il parvient à insuffler de la justesse à son personnage soucieux. Légitimement, il veut honorer son nouveau poste en gardant son calme à tout prix malgré son envie dévorante de terminer cette énigme. Tout le contraire de Marceau (Bouli Lanners, impeccable comme toujours), son binôme impulsif, qui laisse plusieurs fois échapper ses sentiments quand les crimes commis lui sont familiers. En plus de rejouer le traditionnel duo de flics, différent dans leur perception mais complémentaire sur la finalité, le tandem Moll/Marchand s’amuse de la capacité d’identification du spectateur, anxieux face à l’inquiétude trop mesurée de Yohan et l’agressivité de Marceau. L’attachement du spectateur à ces deux gendarmes les rend plus accessibles quand les rôles finissent par s’inverser.
Là où le film est le plus captivant, c’est sur son sous-texte féministe. Jamais poseur, La Nuit du 12 nous fait comprendre par ses dialogues soigneusement écrits comment le problème ne peut être résolu factuellement. Toute la profondeur de l’écriture réside dans notre quête constante de la vérité. C’est notamment par les personnages féminins qui entourent Yohan et son groupe que le protagoniste va comprendre au fur et à mesure que l’enquête lui échappe. En témoigne une séquence d’interrogatoire entre Yohan et Nanie, la meilleure amie de la victime. Cette dernière, après une question sur les pulsions sexuelles de sa meilleure amie, lui demandera : « Et si Clara n’a pas été tuée simplement parce qu’elle est une femme ? ». On aura rarement subi, après cette question d’une malheureuse justesse, un silence aussi prenant et dévastateur.
Le pari du film est bien de traiter d’un sujet on ne peut plus actuel où les personnages féminins ne sont que peu représentés. La polémique qui condamnait l’absence du nom de la comédienne interprétant Clara sur l’affiche (elle apparaît littéralement quatre minutes dans le film) n’est finalement pas anodine : l’aspect féministe du film semblerait passer davantage par leur sous-représentation. Tous ces protagonistes féminins sont là pour faire comprendre la litote du film ; derrière le crime d’une jeune femme, il y a tout un questionnement sur le féminicide. Ça, Yohan le comprend quand sa collègue lui signale : « Ce sont les hommes qui tuent et les hommes qui enquêtent. Mais les victimes sont des femmes ». Avec La Nuit du 12, Dominik Moll signe un film puissant, fataliste et cruel, laissant à la sortie le goût amer de l’irrésolu.
Réalisé par Dominik Moll. Avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Théo Cholbi… France, Belgique. 01h54. Genres : Thriller, Policier. Distributeur : Haut et Court. Présenté dans la sélection Cannes Première au Festival de Cannes 2022. Sortie le 13 Juillet 2022.
Crédits Photo : © Haut et Court.
One Comment
Blanchet
Bravo pour cet article, très interessant la façon dont est relaté le sujet du féminicide !! Hâte des prochains!!