Julie (En 12 Chapitres) : Amour & Existentialisme
Après quatre longs métrages remarqués, Joachim Trier clôt sa trilogie sur Oslo avec son nouvel opus Julie (En 12 Chapitres). Le réalisateur norvégien dresse le portrait touchant d’une jeune femme d’aujourd’hui, qui a valu à son actrice principale le Prix d’Interprétation Féminine au dernier Festival de Cannes.
Julie (Renate Reinsve) a bientôt trente ans et ne parvient pas à se fixer dans la vie. Après des études de médecine qui ne lui conviennent pas, et quelques mois passés sur les bancs d’une fac de psychologie, elle se rend compte que ce qui la botte réellement, c’est en fait la photographie et l’écriture. Employée dans une petite librairie pour payer le loyer et les factures, elle croise la route d’Aksel (Anders Danielsen Lie), un dessinateur de BD accompli de dix ans son aîné, avec lequel elle pense avoir trouvé une certaine stabilité. Mais lorsqu’elle rencontre le jeune et séduisant Eivind (Herbert Nordrum) lors d’une séquence lumineuse et jubilatoire qu’on a tous secrètement rêvé de vivre, Julie se retrouve confrontée aux limites du temps qui passe et des opportunités restreintes qui sont offertes au cours d’une existence. Joachim Trier traite avec finesse et poésie la façon dont les relations amoureuses reflètent les attentes existentielles de chacun. Aksel et Eivind sont par ailleurs plus les personnifications de deux types d’idylles que de véritables personnages. Si le premier représente une vie de couple stable, le second incarne une relation plus fougueuse.
Trier nous propose une virée aux côtés d’une héroïne spontanée et exaltée, en quête perpétuelle de changement, dans un film à l’humour cinglant et au franc-parler sur certains thèmes peu rencontré dans les comédies romantiques. Un genre dans lequel le film s’inscrit en le dépoussièrement subtilement. Entre situations satiriques et drôles, Julie (En 12 Chapitres) met en lumière le décalage générationnel ou philosophique d’une jeune femme qui observe, cherche, interroge et remet en question sa place dans un couple, et le sens de sa propre vie. Avec cette idée préconçue et ancrée dans nos têtes, dans la culture occidentale notamment, qu’il faut s’appliquer à réussir sa carrière et sa vie amoureuse pour être pleinement épanoui. Julie (En 12 Chapitres) est un récit d’émancipation, celui d’une femme luttant à la fois contre les diktats sociaux et la vie qui file à toute vitesse. Une lutte qui nécessite une grande réflexion, beaucoup de temps et génère sa propre souffrance comme celle d’autrui, faisant ironiquement d’elle la « worst person in the world » (dixit le titre anglais du film) lors de cette phase de quête de soi.
Joachim Trier interroge également la question de la bonne personne (celle que l’on voit souvent dans les comédies romantiques, comme si l’essence même de LA bonne personne existait réellement), mais aussi du « mauvais timing » dans une rencontre, où même si tout se passe bien, les choses peuvent malgré tout foirer parce que les désirs profonds des deux êtres ne sont pas synchronisés. A travers ses conflits intérieurs, le personnage incarne un appétit de liberté insatiable, mais aussi la difficulté à définir ce que l’on veut plutôt que ce qu’on ne veut pas. Julie personnifie cette angoisse propre à chacun face à la finitude des choses et le caractère aléatoire des expériences. Autant d’interrogations et de pistes réflectives qui rassurent autant qu’elles chiffonnent lorsqu’on a la sensation de ne pas avoir trouvé ses ambitions de vie et d’être en décalage avec certaines personnes de son âge. « Rien de bien grave » semblent pourtant nous murmurer Trier et son personnage à l’unisson, mais Julie (En 12 Chapitres) nous ramène à cette pression sociale, angoissante et plus collante qu’un chewing-gum sous une basket, face à cet inconnu qu’est l’avenir. Le film laisse par ailleurs une large place à la mélancolie, par le biais d’une poignée de séquences envoûtantes, presque oniriques, et hors du temps. On déconnecte de la réalité – ou on la fuit un peu sans doute – en rêvant avec Julie dans les rues et jardins d’Oslo pendant près de deux heures. Et on aurait bien suivi les tribulations de cette touchante et authentique héroïne quelques heures de plus.
Réalisé par Joachim Trier. Avec Renate Reinsve, Anders Danielsen Lie, Herbert Nordrum… Norvège, France, Danemark, Suède, États-Unis. 02h08. Genres : Drame, Comédie. Distributeur : Memento Distribution. Prix d’Interprétation Féminine au Festival de Cannes 2021. Sortie le 13 Octobre 2021.
Crédits Photo : © Oslo Pictures.