Halloween Kills : Petites morts à la Myers
La franchise lucrative bâtie par Carpenter, avec un premier opus lui ayant permis de gagner ses premiers millions pour un budget dérisoire, est de retour pour la deuxième partie de la nouvelle trilogie de David Gordon Green : suite directe du Halloween de 2018 et avant Halloween Ends (vraiment ?), voici Halloween Kills.
« The Shape », la créature du père John plus connue sous le nom de Michael Myers, a ses adeptes, spectateurs sectateurs à l’affût du moindre coup de sécateur. L’enfant terrible de Haddonfield, rejeton masqué du capitaine Kirk (dont le visage est à l’origine du masque) qu’on a découvert dans l’un des plus saisissants plans-séquences en vue subjective, poursuit avec une mutique abnégation son entreprise d’équarrissage et revient en fils prodigue mortifère dans sa ville natale, et sa destination finale, parachever le job sans avoir besoin d’annuaire – quelques personnages tertiaires ayant eu l’outrecuidance de survivre aux carnages précédents. On retrouve certains aspects du Halloween 2 de 1981 : suite directe des événements, unité de temps, atmosphère nocturne, hôpital… Mais le traitement se joue des attentes du spectateur, comme de celles des personnages (viendra ? ne viendra pas ?). Gordon Green revient à l’essentiel, après la tentative de Rob Zombie sinon d’humaniser Michael, du moins de lui donner une certaine épaisseur, en exhibant notamment ses tourments familiaux : Myers est ici une allégorie, le croque-mitaine, le Mal absolu, sans afféterie, sans chichi, sans nuance. Halloween kills again and again and again sans sœur Laurie à trucider (pirouette narrative que Carpenter a reniée), mais parce que c’est dans sa nature, comme le scorpion de la fable. C’est le boogeyman ultime, pas d’âme derrière le masque, un automate de la mise à mort qui ne marche pas mais surgit dans le cadre (Carpenter étant le taulier de la gestion de l’espace), selon l’adage d’Hitchcock au sujet de Mme Danvers dans Rebecca. Il est d’ailleurs amusant de noter que quand Gordon Green le fait se mouvoir à l’écran, son efficacité s’en trouve amoindrie ; n’est pas Jason qui veut (franchise des Vendredi 13), même si Michael a appris à reconvertir des objets du quotidien. À la dilution de l’attente du film original, telle la mort d’Annie à laquelle une scène fait d’ailleurs référence dans Halloween Kills, différée mais inéluctable et rapide dans son exécution, celui-ci substitue un patchwork gore, une prolifération de courtes scènes avec des victimes au temps d’écran limité à leur sommaire exécution, telles des variations sur le même thème : la résurgence du mal incarnée par Michael Myers, ce cancer dont les métastases investissent la bonne ville de Haddonfield.
Mais que fait donc Laurie Strode ? Pâle figurante, elle est fatiguée, éreintée, lessivée… On est loin de la badass prête à éparpiller son Michael, mais plus proche d’une Laurannie Cordy « j’voudrais bien, mais j’peux point ». L’heure n’est plus à l’action, mais aux lamentations d’impuissance, ce qui peut décevoir les fans de Jamie Lee Curtis. Les personnages secondaires sont, quant à eux, enclins à de dérisoires rodomontades vouées à l’échec. Les autres victimes n’apparaissent pratiquement, on l’a dit, que dans leurs scènes d’abattage. Cette manière clipesque de superposition des scènes, certes assez jouissives pour qui aime les mises à mort stylées (dans lesquelles s’est spécialisé le giallo), est-elle aussi efficace et oppressante que la distillation des meurtres, beaucoup plus rares, du film original ? En d’autres termes, préfère-t-on un Michael Myers bourrin à une « Shape » fantomatique ? J’en doute, même si on ne peut dissimuler un certain plaisir devant une monstration décomplexée. Le suspense éprouvant des plans larges et des légers panoramiques dans les rues pavillonnaires, a priori à l’abri de toute menace, mais devenues le terrain de chasse du Mal qui pouvait investir chaque espace et observer chaque proie, était une expérience autrement plus intense pour le spectateur du film de Carpenter. Là où le bât blesse, c’est que le tout manque vraiment de liant, notamment entre ce qui se passe à l’hôpital et en ville, et qu’on ne comprend guère où tout cela nous mène, à part au troisième film annoncé. L’esthétique de l’éviscération semble contaminer le récit fragmenté dont les diverses mises à mort sont autant de coups de canif à la continuité du récit, telles les entrailles exhibées d’une diégèse déchiquetée.
Ceci dit, si l’on se risque à une lecture méta, des pistes intéressantes émaillent le parcours de notre tueur masqué. Michael serait à l’image d’un spectateur fourbu par ses visionnages répétés de scènes morbides : inexpressif, sans voix, presque lassé par une recette éculée mais toujours voyeur derrière sa fenêtre sans tain, toujours en quête d’orgasmes en série que génèrent ces gerbes de sang et de tripes. La répétition est aussi l’espérance de chacun du retour à la source de plaisir edeno-slasheresque, en restant bloqué indéfiniment dans cet hôpital où les lyncheurs que nous sommes attendent leur égérie. Faire tomber le masque, retrouver l’humain, est ainsi une gageure insoutenable, le seul « intérieur » à ne pas dévoiler dans l’esthétique gore, le spéculaire interdit, telles les cinq invocations devant le miroir d’un autre boogeyman de sortie, Candyman. Une dernière mort illustre l’effarement de la personne qui, confrontée à ce travail à la chaîne, ne peut que constater son impuissance sans décrocher le pompon de l’ultime tour de manège. Il est à gager que, malgré un certain tournis, nous embarquerons à nouveau, par fidélité pour la franchise et pour découvrir si Gordon Green, dont l’intérêt pour l’œuvre de Carpenter semble sincère, parvient à livrer une conclusion permettant d’apprécier à sa juste mesure l’ensemble de sa trilogie.
Réalisé par David Gordon Green. Avec Jamie Lee Curtis, Judy Greer, Andi Matichak… Etats-Unis. 01h46. Genre : Epouvante Horreur. Distributeur : Universal Pictures International France. Sortie le 20 Octobre 2021.
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