De Humani Corporis Fabrica : Promenade de Santé
Dans leur précédent et éprouvant documentaire Caniba (2018), Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor s’invitaient chez le Japonais Issei Sagawa, tristement célèbre pour des faits d’anthropophagie dans les années 80 à Paris. La chair, le corps et ses mystères constituent le fil rouge déroulé par le duo d’anthropologues et documentaristes, dont la radicalité n’est plus à prouver. Cette fois-ci, c’est un véritable voyage aux confins de notre humanité, physique et mentale, qu’ils nous proposent. Un documentaire absolument fascinant mais une véritable épreuve pour le spectateur.
Le film démarre par une quinzaine de minutes anxiogène où les images d’un sous-sol d’hôpital se mêlent à celles, désarçonnantes, d’une opération à cerveau ouvert. Avec une telle entrée en matière, on comprend d’emblée que l’on a affaire à un procédé documentaire qui sort de l’ordinaire. À la croisée entre un cours d’anatomie et une œuvre d’art contemporain étayée par l’imagerie médicale, De Humani Corporis Fabrica se présente comme une déambulation dans les tréfonds du corps humain. Des caméras de pointe créées pour l’occasion plongent à vive allure dans des tunnels, sur des autoroutes, explorant une intériorité méconnue, traversant des endroits du corps non identifiables tant les textures et les couleurs chatoyantes nous sont inconnues. L’approche visuelle est sensationnelle, mais pas sensationnaliste de la part des deux réalisateurs qui souhaitent nous placer à la même hauteur qu’eux dans ce voyage, dans une posture d’explorateurs. Par le dispositif filmique, le duo de cinéastes remet l’humain au centre du film, puisqu’au-delà de la chair endormie dont ils s’occupent, ceux qui constituent le corps médical œuvrent avec acharnement au sein de divers services et interagissent entre eux comme avec les patients.
Ces corps que l’on découpe, ouvre et répare laissent entrevoir une véritable machinerie interne, et dévoilent la formidable complexité organique qui nous constitue sans que nous ne l’ayons jamais interrogée. En insérant des séquences qui montrent les tunnels par lesquels des tubes en plastique sont envoyés d’un service à un autre, les documentaristes établissent un lien troublant entre le corps et la machine. Une façon d’introduire une réflexion autour de ces hommes et ces femmes qui constituent le « corps » médical. De leur propre aveu, ils confessent qu’ils ne sont pas des robots et leurs conversations triviales nous rappellent qu’ils ont une vie à l’extérieur de l’hôpital. Les images deviennent politiques, et sont finalement plus fortes que n’importe quel discours autour de la détresse et de la résilience des soignants.
Le titre du film est tiré de l’ouvrage d’anatomie de Vésale publié en 1543 et qui révolutionna la médecine. Quelques siècles plus tard, comment ne pas souligner le génie scientifique et ses avancées toujours plus précises ? Que ne peut-on pas fixer, réparer ou retirer sur un corps malade ? Les images une fois encore n’ont pas besoin de mots pour créer la fascination. La limite de ces avancées est inévitablement la sénilité, la fin de vie et la mort, qui habitent les murs des services gériatriques et bien sûr de la morgue. Mais c’est une fête dionysiaque qui clôt le documentaire, captée avec des flous, car c’est la pulsion de vie qui l’emporte.
Réalisé par Véréna Paravel & Lucien Castaing-Taylor. France, États-Unis, Suisse. 01h58. Genre : Documentaire. Distributeur : Les Films du Losange. Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement. Sortie le 11 Janvier 2023.
Crédits Photo : © D. R.