Armageddon Time : De son plein Gray
Pour son huitième film sélectionné en compétition aux derniers festivals de Cannes et de Toronto, James Gray nous embarque dans une histoire très personnelle puisque c’est celle qu’il a lui-même vécue dans son enfance à New-York. Une poésie du réel intense et bouleversante.
Alfonso Cuaron (Roma) ou Richard Linklater (Apollo 10 1⁄2), Inarritu (Bardo, en décembre sur Netflix) et Spielberg (The Fabelmans, en janvier au cinéma). Depuis quelque temps, la mode des cinéastes confirmés est de revenir au point de départ. Faire un film quasiment ou entièrement autobiographique dans lequel l’émotion ne pourrait être que plus forte puisque pleinement véridique. Le réalisateur de La nuit nous appartient et Two Lovers ne déroge pas à la règle en choisissant de placer le curseur émotionnel au centre de son histoire. Et ça fonctionne.
Ses deux précédents films (The Lost City of Z et Ad Astra) avaient éloigné Gray de New-York, lui qui a fait de sa ville natale son principal terrain de jeu lors de ses cinq premiers longs-métrages. Ainsi, personne n’est surpris qu’il y revienne pour une histoire aussi intime. Celle de Paul Graff, jeune garçon qui se lie d’amitié avec Johnny. Au travers d’histoires familiales juives et de la prise de conscience de la différence de traitement entre son ami et lui, Paul va découvrir ce qu’est l’Amérique dans laquelle il vit : un pays pré-Reagan (le titre est une référence à un de ses discours pendant la campagne des présidentielles), partagé entre le racisme des uns et la persécution antisémite des autres. Un pays qu’il rêve de fuir avec son ami.
Armageddon Time parle autant de famille que d’amitié, de liberté que de politique et d’amour que de deuil. Par son programme extrêmement riche, il nous permet à nous, spectateurs, de nous immiscer dans la vie de cette famille. Comme à son habitude, James Gray nous livre un film terrassant d’émotion. D’abord par son récit : une épopée familiale dans laquelle le jeune Paul Graff, élève dissipé, n’arrive pas à exister comme il le désire. Le film a beau se dérouler dans un cadre précis (le Queens dans les années 1980), l’histoire racontée est intemporelle et c’est ce qui la rend magnifique.
L’émotion se transcrit également par la photographie soignée et tendre d’un certain Darius Khondji (Seven, Amour…). Le français semble se réinventer totalement au travers de ce film, proposant une palette de couleur chaude, quasi sépia, et immortalise brillamment les scènes de dîner. Ajouté à la mise en scène pudique du cinéaste, qui place davantage sa caméra en tant que spectateur qu’en tant que protagoniste, cela donne un mélange poétique et mélancolique tout en retenue assez bouleversant. Une retenue qui frappe pour un film aussi autobiographique. Le réalisateur ne martèle pas la revendication de son histoire (on notera toutefois la ressemblance des patronymes entre Gray et Graff), pour mieux la revivre via les yeux de l’enfant mais avec le recul qui permet de mieux comprendre les adultes.
Enfin, il convient de parler du casting, annoncé dans un premier temps avec Oscar Isaac, Cate Blanchett ou encore Robert de Niro. Ce dernier est remplacé par Anthony Hopkins, qui livre quelque temps après The Father, l’une de ses plus belles interprétations. Moins dans le noyau dur de l’histoire, ce grand-père sera celui qui enseignera au jeune Graff les valeurs de sa future vie. L’acteur nous montre, notamment dans la scène dite “du banc” que personne n’aurait pu mieux interpréter ce rôle que lui. Si tous les acteurs sont très convaincants (mention à Anne Hathaway, saisissante, qu’on n’avait plus vu comme ça depuis plusieurs années), Jeremy Strong retient plus particulièrement notre attention. Il interprète le père, symbole de l’autorité pure, celui qui veut bien faire sans jamais être compris quitte à en devenir violent. Film après film, James Gray perfectionne en effet sa vision du paternalisme, présente dans chacune de ses œuvres. Dans Armageddon Time, on comprend enfin grâce à un dialogue le point d’orgue de ses personnages lorsque Paul demande : « Tu veux que je sois comme toi » et que son père répond sans détourner le regard : « Non. Je veux que tu fasses mieux que moi ».
Le film s’inscrit pleinement dans une filmographie aux apparences hétéroclites. En ayant conscience de ses thèmes forts et de sa force de proposition, Armageddon Time s’impose comme un tourbillon d’émotions où chaque personnage demeure en perpétuel manque d’amour. Comme toujours chez James Gray, les derniers plans sont puissants. Ici, il n’y a pas de prouesses techniques, pas de discours finaux. Rien qu’une déambulation, classique certes, mais porteuse d’espoir.
Réalisé par James Gray. Avec Anne Hathaway, Jeremy Strong, Banks Repeta… Etats-Unis. 01h55. Genre : Drame. Distributeur : Universal Pictures International France. En compétition au Festival de Cannes 2022. Sortie le 9 Novembre 2022.
Crédits Photo : © 2022 Focus Features, LLC.
One Comment
bot
Belle analyse ! elle m’a permis une relecture du film et de l’inscrire dans un contexte dont je ne connaissais pas les faits.