Aftersun : Daddy Blues
Après trois courts métrages, la réalisatrice écossaise Charlotte Wells passe au long avec Aftersun, chronique mélancolique qui met en scène une relation père/fille pleine de complicité et de tendresse dans les années 1990, mais dont le vernis s’écaille progressivement lors d’un séjour estival en Turquie.
Avec nostalgie, Sophie (Frankie Corio/Celia Rowlson-Hall) se remémore les vacances d’été passées avec son père Calum (Paul Mescal) vingt ans auparavant dans une station balnéaire turque. La jeune femme repense aussi à ce qui planait au-dessus de ces instants précieux, et tente de chercher parmi ses souvenirs des réponses à la question qui l’obsède depuis tant d’années : Qui était réellement son père, cet homme trop tôt disparu qu’elle a le sentiment de ne finalement pas connaître ? Entre moments de joie partagée, de complicité et parfois de désaccords, Aftersun déroule sous nos yeux attendris les péripéties de ces deux êtres liés par le sang en train de se créer de multiples souvenirs communs, qu’il s’agisse de leur baptême de plongée ou de leurs après-midis alanguis au bord de la piscine de l’hôtel. Calum et Sophie s’aiment et s’apprivoisent en douceur, gardant ceci dit une part de leurs émotions enfouies, par crainte sans doute d’entacher ces vacances qu’ils voudraient bien plus longues.
Aftersun brille par l’alchimie désarmante de naturel entre ses deux comédiens principaux. La jeune révélation Frankie Corio est épatante dans les traits de Sophie, préadolescente mature et dégourdie qui passe le plus clair de son temps à observer son paternel et les ados autour d’elle, tandis que Paul Mescal, révélé dans la série Normal People (2020), est bluffant en jeune père trentenaire fraîchement divorcé, aussi responsable, attentionné que juvénile, qui préfère taquiner sa fille ou l’enduire de crème solaire plutôt que de lui faire porter ses troubles psychologiques. La carrure solide et la sensibilité à fleur de peau du comédien irlandais s’accordent parfaitement avec l’ambivalence de son personnage, tour à tour prévenant, à l’écoute et plein de fragilité. Ce duo atypique est d’ailleurs régulièrement pris pour un frère et une sœur, erreur qui amuse souvent les deux intéressés. La délicatesse et la tendresse du film passent par tous les instants de vie faussement anodins qui défilent sur l’écran, et dans lesquels le non verbal laisse libre court aux sensations de chaque spectateur.
Aftersun transcende par ailleurs son sujet grâce à sa mise en scène naturaliste et une structure narrative non linéaire, qui incarnent parfaitement l’atmosphère hautement mélancolique du projet. Le film fait en effet régulièrement des va-et-vient entre les images du passé, que Sophie garde en mémoire, de ces fameuses vacances en compagnie de son père, régulièrement capturées par le biais du petit caméscope familial, et le présent, représenté par une séquence stroboscopique où Sophie, adulte, regarde son père, encore âgé d’une trentaine d’années, se mouvoir sur une piste de danse. L’utilisation régulière du caméscope, mais également des appareils photo, et la captation de différents moments empreints de plénitude, et parfois d’ennui, entre les deux personnages nous rappellent également le charme profond des nineties, où l’on prenait le temps d’observer et de s’intéresser aux autres et à son environnement sans réseaux sociaux et smartphones. Malgré quelques plans étirés en longueurs sans raison, Aftersun livre une chronique familiale réussie au duo père/fille aussi candide qu’attachant, qui prend lors de sa séquences finale une dimension poétique profonde, empreinte de mystère, de joie et de regret que l’on garde longtemps en tête après visionnage.
Réalisé par Charlotte Wells. Avec Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall… Grande-Bretagne, États-Unis. 01h42. Genre : Comédie dramatique. Distributeur : Condor Distribution/Mubi. Grand Prix et Prix de la Critique au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2022. Prix French Touch du Jury à la Semaine Internationale de la Critique 2022. Sortie le 1er Février 2023.
Crédits Photo : © Sarah Makharine.