Les Crimes of Grindelwald : Fantastique déception
La suite des Animaux Fantastiques est l’une des plus grandes déceptions de cette fin d’année, à la hauteur des enjeux mythologiques que l’on était en droit d’attendre d’un scénario original signé J.K Rowling.
Nouvelle entrée dans le monde de Harry Potter, Les Animaux Fantastiques 2 – Les Crimes de Grindelwald est enfin sorti. C’est le dixième film de la franchise cinématographique, devenue avec les 450 millions de livres vendus – et ses presque 9 milliards de dollars de recettes rien qu’en salles – le plus grand phénomène culturel mondial de l’Histoire. Seule la Bible a été plus lue que l’oeuvre romanesque de J.K Rowling.
Il y a donc une lourde, très lourde responsabilité à revenir dans le monde des sorciers pour y raconter d’autres histoires, avec de nouveaux personnages, de nouveaux conflits, de nouveaux décors … Responsabilité à la mesure du succès exceptionnel des aventures de Harry Potter.
Car cette histoire magique est devenue patrimoine mondial, partagé par tous. Pour beaucoup d’entre nous, Poudlard est la définition de la beauté car cette école, ses couloirs, son univers, font l’objet d’une satisfaction ressentie en communion par des millions et des millions de lecteurs/trices et de spectateurs/trices, partout sur la planète, depuis maintenant deux décennies.
Alors pourquoi …. pourquoi donc aura-t-il fallu que les Animaux Fantastiques voie le jour ?
On pourrait m’objecter que l’idée de développer, d’étendre l’univers magique – d’ailleurs désormais officiellement estampillé J.K Rowling’s Wizarding World – était une excellente idée. Je suis d’accord, et je fus l’un des premiers à aller voir le volet inaugural des Animaux Fantastiques en salle.
Il me faut revenir un instant sur ce premier film (sorti en novembre 2016) : outre un succès commercial évident, le long métrage a reçu des critiques tout à fait correctes … dont je n’ai malheureusement pas partagé l’enthousiasme.
Cette première aventure m’avait beaucoup questionné sur la pertinence de Newt Scamander (Norbert Dragonneau pour nos compatriotes) en tant que protagoniste principal d’une série de cinq films.
J’avais trouvé ses quêtes très anecdotiques et proches de celles d’un jeu vidéo : récupérer le hérisson aspirateur de thunes, récupérer le rhinocéros chelou cracheur de feu, récupérer le macaque invisible magique cleptomane … Ce qui m’avait intéressé en revanche, était cette magnifique image du refoulement, avec les Obscurus, ces jeunes sorciers ou sorcières qui décident, par peur ou par instinct de survie, de cacher leurs pouvoirs magiques, les conduisant pour la plupart vers une mort certaine. Le personnage de Credence (Croyance), interprété par l’énigmatique Ezra Miller, portait en lui le sceau de la grande tragédie grecque et promettait pour la suite une épopée intime et sacrificielle.
Armé de mon indulgence, et de ma passion ardente pour tout ce qui touche de près ou de loin à ce bon vieux Harry, je me suis donc rué à la séance de 22 heures le jour de la sortie, pour découvrir Les Crimes de Grindelwald.
De nouveau, un sentiment étrange et analogue au premier film m’envahit : c’est … pas mal, mais il y a quelque chose qui cloche, qui dérange, derrière le vernis des effets spéciaux numériques. A mesure que la narration se développe, s’enrichit, je ne peux m’empêcher de ressentir une gêne croissante. Je n’arrive pas à totalement m’abandonner à l’histoire.
Les trente premières minutes sont truffées de gadgets narratifs inutiles et complètement gratuits : par exemple, cet étrange sort qui permet à Newt de « rejouer » la scène du cirque dans la rue à Paris, pour retrouver la trace de sa comparse Tina. La séquence dure au moins trois minutes, elle s’étire sans aucun impact sur le personnage et déploie un gloubiboulga numérique avec cette fumée orange inexpliquée. J.K Rowling a toujours eu à l’esprit que magie et imaginaire doivent être conjugués à une grande rigueur narrative et logique. En effet, tout est logique dans Harry Potter, chaque détail venant superbement se mêler à l’ensemble.
Force est de constater, et c’est à mon très grand regret, que ce n’est plus le cas dans les Animaux Fantastiques. La séquence d’ouverture avec la fuite de Grindelwald défie toutes les logiques de la physique, avec une multitude de micro-événements qui viennent complexifier l’action sans jamais l’enrichir : l’infiltration de l’eau dans le carrosse, les incessants transplanages des personnages à l’intérieur et l’extérieur de la cabine, une mise en scène épileptique qui ressemble à une montagne-russe, les serpents dans la boîte, les sorciers qui meurent en transperçant leur propre cou, le Polynectar … Alors oui, c’est magique, oui Grindelwald a certainement développé des aptitudes qui l’affranchissent de la loi de la gravité, mais tout cela me semble … surfait, artificiel, et finalement très inutile.
Newt Scamander, qui était quand même censé être le personnage principal de cette nouvelle série de films, est totalement éclipsé par la surenchère d’événements narratifs. Alors que le premier volet pêchait par son manque d’ambition – l’histoire peut se résumer sur un ticket de métro – ce deuxième long métrage est un feu d’artifice de personnages en tout genre, dont les liens sont parfois si complexes qu’il faut être plus qu’attentif pour prétendre en saisir la moitié.
Mais pourquoi appuyer si lourdement sur l’histoire de Leta Lestrange ? Pourquoi créer la confusion dans l’esprit du spectateur entre sa famille et son lien supposé à Credence – alors que l’on apprend vingt minutes plus tard que ce n’était pas du tout le cas ? Pourquoi donc consacrer du temps à la recherche d’un certificat de naissance au Ministère, alors que ce certificat se révélera y être absent et bien pire encore, totalement inutile ?
Les gratuités narratives s’amoncellent, et on a la sensation de plus en plus forte de se faire duper : tout ça pour quelques péripéties magiques qui viennent rallonger un film déjà bien long.
Sortir Nicolas Flamel du chapeau pour amuser les fans, et montrer rapidement la Pierre philosophale, n’est pas ce que l’on attend d’une conteuse d’histoires du niveau de J.K Rowling.
Qu’elle soit une romancière extraordinaire, c’est certain, mais une scénariste de film ? La question est légitime.
Cette réalité est déchirante pour les fans : J.K Rowling est l’unique scénariste et la productrice du film. Garante de la mythologie Harry Potter, de sa cohérence, de sa richesse, de sa profondeur, elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même pour expliquer ce ratage, et nous aussi.
Parlons enfin de Dumbledore, le grand Dumbledore : ce deuxième volet met en place les ressorts des trois prochains films (encore trois !) qui nous montreront sans aucun doute la guerre qui l’opposera à Grindelwald. C’est une perspective séduisante, car leur lutte sur fond de grande passion amoureuse tragique et de Seconde Guerre Mondiale porte en elle un potentiel dramaturgique immense. Encore faudra-t-il se calmer sur les intrigues annexes et les bestioles magiques qui viennent constamment parasiter l’édifice.
Bien qu’il reste encore trois films à développer, on s’étonne tout de même de la grande pruderie du réalisateur David Yates, et surtout de J.K Rowling, à ne pas dire clairement que Dumbledore est homosexuel. L’importance politique de ce geste aurait été extrêmement forte. On n’attend pas moins de J.K Rowling qu’elle fasse de Dumbledore la première grande icône gay de la littérature « jeunesse » mondiale. Si cette vérité n’est pas explicitement montrée par la suite, cette franchise pour l’instant franchement bringuebalante aura raté son rendez-vous avec l’Histoire.
Pour conclure, Les Animaux Fantastiques 2 n’est pas un ratage absolu : les acteurs sont plutôt bons, certaines idées graphiques sont vraiment réussies et le souffle mythologique propre à Harry Potter reste présent, bien que grandement fragilisé par une narration surchargée et complaisante.
La franchise est donc au croisement des chemins : soit elle apprendra de ses erreurs et se concentrera sur quelques personnages d’envergure – mais est-ce encore possible alors que Newt Scamander en est le personnage principal théorique ? – soit elle se noiera dans son raz-de-marée de clins d’oeil, de VFX et d’arc narratifs intempestifs.
On compte sur toi, J.K !
Réalisé par David Yates. Ecrit par J.K Rowling. Avec Eddie Redmayne, Katherine Waterston, Dan Fogler, Jude Law, Johnny Depp, Ezra Miller, Zoë Kravitz. Fantastique. Britannique/Américain. 2018. 2H14. Distribution : Warner Bros France. Sortie : 14 novembre 2018.