Champs-Elysées Film Festival : une histoire de temps
Pour cette première journée, le Champs-Elysées Film Festival attaque fort avec deux films indépendants français présentés en compétition officielle. Bien que diamétralement opposés, Naufragé volontaire et La Trajectoire du homard nous parlent de solitude et d’étouffement, mais aussi du temps qui passe, bien trop vite ou trop lentement. Et témoignent de la vitalité des jeunes auteurs français, ceux-là même qui n’arrivent pas à se frayer un chemin jusqu’aux salles de cinéma. Désespérant ou encourageant ? Les deux ne sont pas incompatibles.
Naufragé volontaire, de Didier Nion
Seul en seine mer. Avec Jérémie Lippmann, Dora le poisson, une poupée qui dit rien, une voix qui cause anglais et beaucoup, beaucoup de flotte.
Un jour, alors qu’il part en mer, Didier Nion embarque avec lui un ouvrage : Naufragé volontaire, du médecin Alain Bombard. L’homme y raconte qu’un jour de 1951, on lui a apporté le corps de quarante marins, morts en mer après un naufrage. Peu de temps après, le médecin décide de partir à son tour sur un canot pneumatique. Son défi ? Traverser l’Atlantique depuis les Canaries, sans eau ni provisions. Son objectif ? Démontrer qu’avec les bons gestes, on peut survivre en mer pendant une longue période après un naufrage. Autant dire que ses théories bouleverseront la médecine de l’époque. De ce parcours hors du commun, Didier Nion tire un film profondément couillu. Loin du biopic qu’on aurait pu craindre, Naufragé volontaire place son héros là où il doit être – au milieu des flots -, et nous fait vivre avec lui toutes ses expériences. Les moments de fierté et les déconvenues, le bonheur du grand large et l’oppression de la solitude. Comme le canot vogue au gré des flots, son Bombard, interprété par un intense Jérémie Lippmann, navigue entre le héros téméraire et le fou qui s’ignore. Seul en mer, Bombard espère mais ne peut s’empêcher de douter, s’accroche comme tant bien que mal mais finit par perdre pied. Et le film, lui, fascine, peut-être autant par son réalisme (vu la taille du bateau, les scènes de tempête font véritablement froid dans le dos) que par sa poésie. Car si le corps lâche forcément, l’esprit vagabonde aussi. Dans ces moments de glissement, où le comportement libre d’un être délesté des conventions sociales laisse petit à petit place à celui d’un homme dont le corps et l’esprit fléchissent sous le poids de la solitude, le film s’envole véritablement. Au-delà de son défi technique, lui-même complètement fou (on passe 1h30 avec un seul type au milieu de l’océan), Naufragé volontaire peut se vanter d’avoir retranscrit avec la fébrilité, la cruauté et la magie nécessaire le parcours combatif d’un homme prêt à tout pour prouver au monde la véracité de ses théories. Vu l’ovation en fin de séance, déjà un grand moment du Champs-Elysées Film Festival.
La Trajectoire du homard, de Vincent Giovanni et Igor Mendjisky
Tous en scène. Avec des comédiens au bord de la névrose, un journaliste qui plane naturellement, des techniciens qui planent beaucoup moins naturellement (fais tourner le chichon, poto !) et une crise de nerfs collective extrêmement bienvenue.
De ce titre un peu obscur, difficile de savoir que penser. Il correspond pourtant tout à fait à l’ambiance du film lui-même. La Trajectoire du homard est le nom d’une pièce de théâtre qu’une compagnie est sur le point de jouer pour la première fois. La représentation est prévue pour le soir-même, tout est censé être réglé comme une horloge, sauf que… Sauf que le théâtre a oublié de prévoir des fruits pour l’équipe, qu’une comédienne ne se rappelle plus de son texte, qu’un accessoire primordial a disparu, qu’un journaliste bien perché comme il faut fait perdre du temps à tout le monde et qu’en gros, rien ne va plus dans les coulisses du plateau. Et la compagnie a une heure pour tout régler… Construit comme un film à sketchs, La Trajectoire du homard est un film qui pourrait décontenancer. Comme toute comédie du genre, les fragments ne se valent pas et ne sont pas aussi drôles, touchants ou absurdes les uns que les autres. La finalité du long métrage pourrait également nous échapper pour peu qu’on ne connaisse pas l’histoire qui se cache derrière. Car le film a été réalisé dans des conditions particulières. Alors qu’il est embauché pour animer un atelier avec des comédiens – plus ou moins – amateurs (bonjour Juliette Poissonnier !), Igor Mendjisky a l’idée folle de tourner un long-métrage de cinéma durant les trois semaines qui lui sont imparties. Après l’avoir pensé pendant dix jours avec ses quatorze acteurs, il fait appel à Vincent Giovanni pour le tourner les dix jours suivants. La Trajectoire du homard, c’est donc un geste impulsif de cinéma, un autre pari un peu fou qui témoigne d’un amour profond pour le septième art et pour cette manière de tourner dans l’urgence, presque clandestinement. Filmé en scope et dans un joli noir et blanc, ce homard incongru arbore les atours d’un beau film de cinéma, mais pensé et réalisé à l’arrache, avec la passion, l’amour de la verve et un certain sens de l’absurde comme moteurs premiers. Peut-être plus anecdotique que son concurrent direct en Compétition Française, La Trajectoire du homard transpire la sympathie, et attendrit immédiatement par la radicalité et l’impulsivité de sa conception.