Cannes s’affiche
Une affiche n’a rien d’anodin. C’est elle qui ouvre les festivités. Avant la montée des marches, avant la découverte de la sélection officielle, elle annonce la couleur. De l’affiche officielle à celle de la Quinzaine, en passant par la Semaine de la Critique et l’ACID, chaque section raconte sa vision de Cannes, sa position idéologique, et surtout sa conception du cinéma. Avec plus ou moins de succès.
Anna Karina et Jean-Paul Belmondo s’embrassent dans Pierrot le fou. Un baiser mythique, modernisé par une esthétique pop qui a su séduire les festivaliers. De quoi faire oublier les protestations de l’année passée vis-à-vis du corps retouché de Claudia Cardinale. N’en reste pas moins que malgré des dérives stylistiques plus ou moins concluantes (1995, ambiance Nirvana, on n’a pas compris), Cannes célèbre encore et toujours les grandes figures du cinéma, le beau, le vrai. Par un hommage renouvelé aux icônes du septième art – Godard était déjà à l’honneur en 2016 avec une affiche tirée du Mépris – , le festival porte l’étendard d’une légitimité culturelle, teintée de glamour, qui fascine autant qu’elle agace. Ingrid Bergman, Marcello Mastroianni, Marilyn Monroe, pour ne citer que les plus récents, ont chacun apporté leur pierre à l’édifice institutionnel cannois. Si Juliette Binoche en 2010 ou Bruce Willis en 2007 se sont incrustés dans son panthéon officiel – on ne peut pas parler d’outsider, c’est certain, mais ils ont le mérite d’être encore vivants – la prise de risque et les tentatives de modernisation restent discrètes. Des films engagés, d’accord, des discours politiques, pourquoi pas, une charte pour la parité, il s’agit d’une urgence, mais les affiches, on touche pas. Le cinéma parle avant tout au cinéma.
La Quinzaine des Réalisateurs, bien qu’elle soit née de l’esprit libertaire de mai 1968, ne renie pas non plus ses classiques. Bien au contraire. L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat en 1971 puis Le Voyage dans la lune de George Méliès en 1972 donnent le ton. Le cinéma revient à ses origines artisanales. Les auteurs éclipsent les paillettes. Le tout, dans un style proche des tracts qui réapparaît dans la très réussie affiche de 2016 : la rencontre d’un couple dont il ne reste que les lambeaux, sur un mur. Et cette année, encore, la section défricheuse qui prônait « le cinéma en liberté », est à la hauteur de son héritage idéologique avec une photographie de William Klein représentant une joueuse de baseball prête à frapper la balle. Ou la caméra, on ne sait pas bien. Un choix qui n’a rien d’un hasard, et accompagne discrètement l’appel à « l’égalité salariale » des 82 femmes, après l’affaire Weinstein. Le partis pris esthétique reste cependant un rien passéiste et semble déchirer la Quinzaine entre son désir de renouveau et une vieille nostalgie pour le terreau soixante-huitard duquel elle a germé. Ceci dit, bien que la contestation s’accompagne d’une vague odeur de naphtaline, on doit néanmoins lui reconnaître sa capacité à s’emparer efficacement de l’actualité. Et mort aux vaches.
Dédiée aux premiers et deuxièmes films, La Semaine de la Critique choisit, quant à elle, Noé Abita (Ava) pour sa 57e édition, après Julia Ducournau et Garance Marillier (Grave) en 2017. La section dans laquelle ont fait leurs débuts Chris Marker, Jean Eustache, Bernardo Bertolucci ou Ken Loach a, en effet, l’habitude de mettre à l’honneur les protagonistes de ses précédents crus. Portraits, photogrammes ou images prises sur le vif, les affiches au style dépouillé ne s’embarrassent d’aucune fioriture. Seule compte la mise en lumière des nouveaux visages du cinéma. En témoigne l’effacement graduel du logo, au fil des années. On est très loin de l’icône officielle, magnifiée – pas toujours – par une composition léchée. Le regard effronté de Noé Abita revendique la prise de pouvoir d’une nouvelle génération qui n’a rien à envier à la précédente.
C’est cette même fraîcheur que défend l’ACID, la plus jeune section consacrée au cinéma indépendant, en jouant, chaque année, la carte du graphisme pop. Une jeune fille, les yeux écarquillés, est retenue par une enceinte minérale. Ou une montagne ? On hésite. Car au delà de l’esthétique branchouille, le sens de l’image reste passablement obscur. Et on s’étonne de voir une femme “prisonnière” d’un étau rocheux quand d’autres font front pour défendre leurs droits. Simple étourderie ? Une jolie affiche, oui, mais un peu à côté de la plaque. A moins que son air ébahi évoque la fascination exercée par la magie des salles noires ? Le mystère reste entier mais les bras lui en tombent.