Cannes – jour 6 : surprises
On ne pensait pas écrire cela un jour : la comédie de Gilles Lellouche est meilleure que le documentaire de Wim Wenders. On pourrait avancer que ce déséquilibre s’explique par la faible qualité du Wenders, mais étonnamment il tient aussi au fait que Le Grand Bain est une assez bonne comédie populaire française. On retiendra également de ce sixième jour le joli Nos Batailles de Guillaume Senez, avec Romain Duris.
Le Grand Bain était présenté hors compétition. Il y avait à peine assez de place sur le tapis rouge pour accueillir l’impressionnant casting : Virginie Efira, Mathieu Amalric, Benoît Poelvoorde, Guillaume Canet, Philippe Katerine, Leïla Bekhti, Jean-Hugues Anglade, Félix Moati, Marina Foïs… Peut-être cette brochette d’acteurs explique-t-elle en partie la réussite du film : quand on réunit autant de célébrités, on ne peut se permettre d’être paresseux sur les personnages secondaires, on ne peut se permettre de proposer un rôle quelconque à un acteur reconnu. Tous ont accepté, et tous ont réussi à faire exister leur personnage (seule ombre au tableau : Guillaume Canet nous a semblé un ton en-dessous). L’histoire est celle d’une bande de pauvres types déconsidérés et pas très malins qui, par désoeuvrement, par solitude, par curiosité, forment une équipe de natation synchronisée masculine, entraînée par Efira et Bekhti. Personne ne croit en eux, ni leurs proches, ni leurs collègues, ni eux-mêmes à vrai dire. Néanmoins, ces instants offrent à chacun une brève parenthèse chlorée, au milieu de leur morne existence. C’est mignon, cela ne va pas beaucoup plus loin, c’est somme toute classique et attendu. Chacun fait ce qu’il sait faire (Amalric en dépressif, Poelvoorde en dépressif surexcité etc.) et les lois du genre ne sont en rien bouleversées. Quel serait le mérite, alors, d’avoir réalisé un film regardable ? Déjà, un film regardable dans la filmographie de Gilles Lellouche est un événement assez rare pour être souligné. D’autre part, Le Grand Bain se tient sans faiblir à la ligne qu’il s’est fixé et a le mérite de tenir sa promesse – si mince soit-elle. On a vu trop de comédies (ô comme elles se répandent) se réduire à une peau de chagrin à mesure que l’histoire avançait. Trop de comédies figées dans un état embryonnaire, se contentant de tourner avec ennui autour d’une bonne idée ressassée. Les qualités du Grand Bain tiennent à son exécution sérieuse et appliquée. En quelques mots, c’est un film peu intelligent mais bien fait (c’est donc un film de producteur), l’inverse du film ambitieux qui ne reste qu’un effet d’annonce.
Restons d’ailleurs sur les effets d’annonce. Comment qualifier le documentaire de Wim Wenders sur le Pape François ? Il n’est ni bien fait, ni très intelligent, et repose tout entier sur le charisme de ce bon et sympathique religieux. Pas du tout désagréable à voir (il se trouve que je suis moi aussi favorable à la paix entre les hommes), mais il nous semble malgré son titre – Le Pape François, un homme de parole – que le film ne dit pas grand chose. On y voit le pontife en tournée, répandant la bonne parole, touchant le front des enfants, allant au contact du peuple. On le voit aussi face caméra aborder divers sujets, un sourire bienveillant aux lèvres. Il est sur le terrain, aimé, aimant ; il est au Vatican, réfléchi et pieux ; il sait, il comprend que des choses ne vont pas au sein de l’Eglise ; il propose, il veut changer, réformer. Bref, nous ne rêvons pas : le Pape est en campagne, et s’offre Wim Wenders pour réaliser un portrait officiel. Mais à propos de quoi le Pape est-il en campagne ? On ne sait trop, à vrai dire, puisqu’il parle d’à peu près tout. Notons une chose tout de même : son discours parle peu de Dieu et de foi. Autrement dit, ce n’est pas un discours religieux, mais politique, évoquant les enjeux de la société actuelle (et posant un voile pudique sur certaines questions embarrassantes – on pense à l’homosexualité et au féminisme). À travers cette figure forte du Pape François, le documentaire de Wim Wenders tente de dresser le portrait d’un christianisme ancré dans son temps, un christianisme attirant, humble, qui soit la parole et l’oreille du monde. On se souvient donc surtout, en conclusion, que la religion du Pape est ouverte à tous (nombreuses scènes interreligieuses, rappels constants que les athées sont bienvenus…) et se scandalise des injustices commises par notre société (si l’on ne peut séduire par la foi, il faut séduire par sympathie). Retenez le message bon sang : les cathos recrutent !
Film tout aussi socialiste, mais beaucoup moins vaticanesque, Nos Batailles, réalisé par Guillaume Senez, était présenté en séance spéciale à la Semaine de la Critique. Il plut beaucoup à tout le monde. Olivier (Romain Duris) travaille dans l’une de ces horribles usines style Amazon qui traitent leurs ouvriers comme des moins qu’humains. Syndiqué, apprécié de tous, il se bat chaque jour pour les droits de ses collègues. Mais ce cher Olivier est aussi un mari aimant, père de deux enfants, bien qu’il peine à consacrer suffisamment de temps à sa vie de famille. Un jour, sans prévenir, sa femme s’en va, laissant le père face à de nouvelles responsabilités. Le film est tout à fait réussi ; son mérite est sa justesse. Entendons-nous sur ce mot de « justesse » : il ne s’agit pas de louer un réalisme pittoresque (la vie des vrais gens), mais la justesse de ton. On évite le côté calvaire-du-bon-gars de La Loi du marché avec lequel il partage un même socle thématique. Stéphane Brizé abordait la famille comme un prolongement fatigant du travail. Ici, les deux espaces se chevauchent le moins possible, ils se contrebalancent. Il faut dire aux enfants que la vie continue quoi qu’il arrive, feindre la bonne humeur (sur le mode du « tout va bien mes chéris, maman est juste partie en vacances depuis trois mois »), puis tendrement se laisser envahir par cette bonne humeur qu’on croyait feindre. On rit donc sincèrement dans le foyer chamboulé, surtout lorsque s’y glisse pour quelques temps la sœur d’Olivier, jouée par la lumineuse Laetitia Dosch. Ajoutez également Laure Calamy en collègue syndiquée, et vous obtenez d’emblée un long métrage doté d’un capital sympathie au-dessus de la moyenne.