Cannes 2023 #8 I The Idol : Les lois de l’abjection
Comme un mini-événement qui reviendrait cycliquement, il arrive depuis quelques années qu’une série dite « prestige » soit présentée au festival de Cannes. David Lynch ou encore Nicolas Winding Refn ont par exemple déjà été invités à projeter deux épisodes de leur projet télé sur la Croisette. Cette année c’est au tour de Sam Levinson de venir avec les deux premiers épisodes de The Idol, projet HBO précédé d’une réputation sulfureuse à base de tournage toxique, d’éviction et de scénario douteux. Et en effet, les défauts de The Idol sont tellement nombreux qu’il n’existe pas encore de terme capable de tous les encapsuler. Racoleur, vulgaire, gratuit, sexiste, ringard. Tout cela est sûrement prémédité, mais le résultat est indigeste, indigent et de mauvais goût. Alors qu’on imagine Levinson fantasmant sur le frisson de scandale annuel du Festival de Cannes, il n’a réussi à fabriquer qu’un porno softcore mal éclairé, destiné en priorité aux hommes hétéros. Et si encore les deux protagonistes étaient joués par de bons comédiens, ça aurait au moins pu être un glorieux nanar. Car ce n’est pas le tout de trouver une actrice qui confond mise à nue et talent dramatique (n’est pas Showgirl qui veut), ou un chanteur qui cache son manque d’expérience (c’est son premier rôle) derrière un charisme suspect et une attitude oppressive, encore faut-il que le charme agisse à l’écran. À leur décharge, la pop-starlette Jocelyn (Lily-Rose Depp en simili Britney Spears) et Tedros, le patron de club adepte de domination salace (Abel Tesfaye aka TheWeeknd) ne sont pas aidés par la faiblesse du script, leurs personnages n’étant pas assez écrits ni dotés de beaucoup d’épaisseur, et encore moins d’enjeux.
Le titre, ambivalent, joue sur la démultiplication des idoles. On découvre Jocelyn, idole en cheffe, à la popularité stratosphérique, avant qu’elle ne rencontre Tedros et ne le laisse devenir son maître à penser. Levinson semble penser que la jeunesse alanguie et désabusée qui forme l’entourage du couple ne sont que des satellites qui attendent leur tour de gloire en gérant les petits drames de leur employeur. Parmi ces personnages, on trouve d’ailleurs les seuls attributs du film que l’on sauvera du naufrage. Cette armada qui entoure Jocelyn est entièrement constituée de comédiens plus ou moins identifiés mais très pros et choisis à la perfection (Jane Adams, Da’Vine Joy Randolph, Dan Levy, Eli Roth, Rachel Sennott et Hank Azaria pour ne pas les nommer). Ils créent un environnement crédible d’assistants, attachés de presse, investisseurs et managers en tous genres. À deux semaines du début de la tournée de la star, on les découvre en plein marasme après la diffusion d’une photo trash et potentiellement compromettante de leur protégée. Ce petit groupe s’échine alors à minimiser les dommages et cela constitue une première partie passionnante, au point qu’on aurait aimé que le film (qui n’en est pas un, il faut sans cesse se le rappeler) n’ait pour seul sujet que cette gestion de crise, comme si un épisode de Succession se passait dans une mansion de Los Angeles. Un joli moment arrive, enfin, grâce à la chanson interprétée par la jeune et intrépide Chloe (Suzanna Son, révélation de Red Rocket), installée devant le piano. Il aura donc fallu attendre la fin du deuxième épisode pour percevoir un peu de grâce et d’émotion, deux notions qui manquaient cruellement à cette fable sur la superficialité et l’attraction. La suite au prochain épisode ? Ça sera sans nous.
Créée par Sam Levinson. Avec The Weeknd, Lily-Rose Depp, Suzanna Son… États-Unis. 6 Épisodes x 60 Minutes. Genre : Drame. Présentée Hors Compétition au Festival de Cannes 2023. A partir du 5 Juin sur Prime Video.
Crédits Photo : © HBO.