Braquer Poitiers : Pas de violence, c’est les vacances !
Francis et Thomas sont fauchés. Ils ont un bon plan pour les vacances d’été, ils vont séquestrer Wilfrid, propriétaire d’un carwash dans les environs de Poitiers pendant un mois et vider sa caisse. Drôle et poétique, Braquer Poitiers sublime le quotidien et dépeint les relations humaines dans leur complexité.
Syndrome de Stockholm inversé
Braquer Poitiers, le titre du film de Claude Schmitz est quasi-performatif, incisif. C’est bien d’un braquage qu’il s’agit, puisque deux Belges séquestrent Wilfrid dans sa grande propriété poitevine et surveillent ses allées et venues. Mais tout ne se passe pas comme prévu, car Wilfrid est un homme seul et, contre toute attente, l’arrivée des deux Belges lui redonne le goût de vivre. La situation est gaguesque, c’est un véritable syndrome de Stockholm qui se joue entre les personnages, mais à l’envers ; Francis et Thomas tombent sous le charme de leur victime. Et l’arrivée de deux jeunes femmes sudistes achève de transformer la propriété en véritable colonie de vacances.
Le braquage sert de prétexte à Claude Schmitz pour scruter les relations qui se tissent entre ses personnages, au fil du séjour qu’ils passent ensemble. Badinages, rires, engueulades, les protagonistes, en apparence très différents, font communauté. Braquer Poitiers trouve ainsi un écho presque rohmérien dans les troubles qui habitent ses personnages. La saisonnalité des deux chapitres rappelle les Contes des quatre saisons, l’été pour la légèreté, l’amitié, les fêtes et les discussions au bord de la rivière ; l’hiver pour la solitude, l’introspection au coin du feu et la dissection des sentiments. Entre fiction et documentaire, laissant libre cours à l’improvisation de son casting de professionnels et d’amateurs, Claude Schmitz créé une atmosphère avec trois fois rien. Le grain de la pellicule capte les variations de la luminosité des paysages, les couchers de soleil, les feux de la Saint-Jean ou les visages des deux belles actrices dans des cadres quasi-picturaux.
Littérarité
La particularité de Braquer Poitiers est sa structure. Le deuxième chapitre constitué par un épilogue est en réalité un ajout à ce qui était au départ un court métrage de 59 minutes, sur demande de Wilfrid lui-même qui souhaitait poursuivre cette aventure humaine. Cet ajout, au sein d’une fiction réaliste, constitue un « twist » inattendu. Le film est tel un livre dont on tournerait les pages. Wilfrid, à la vie comme à l’écran, est un amoureux des mots, il écrit de la poésie et réprimande les jeunes qui le surveillent pendant sa pseudo-séquestration, car ils sont incapables de faire le distinguo entre une barrière, un grillage ou une clôture. D’ailleurs chaque personnage semble tiré d’une fable. Celle-ci pourrait s’intituler « les braqueurs, les cagoles, les dealers et Wilfrid ». Les mots ont leur importance, les silences aussi. Francis, rustre au grand cœur, fait surgir une belle émotion quand il interprète Ces gens-là de Jacques Brel, entre deux gorgées de Kro. Si la première partie se suffirait à elle-même, ce curieux épilogue permet de mettre en perspective le premier chapitre, de prolonger pour les personnages et pour le spectateur le plaisir de l’émotion et la consolidation d’amitiés pérennes.
Braquer Poitiers. Un film de Claude Schmitz. Avec Wilfrid Ameuille, Francis Soetens, Thomas Depas, Hélène Bressiant, Lucie Guien… France. 1h30. Genre : Comédie. Distributeur : Les Bookmakers / Capricci Films. Sortie le 23 octobre 2019.
En Une : ©Capricci Films