Bombasse : la malédiction d’Hedy Lamarr
Dans le documentaire Hedy Lamarr : from Ecstasy to Wifi, Alexandra Dean rend hommage à Hedy Lamarr. Star sulfureuse et indépendante d’un autre temps, la cryptique Hedy s’est retrouvée prisonnière de sa beauté iconique. Inventrice méprisée d’un système de codage à l’origine du wifi, elle a couru toute sa vie après le respect qu’elle estimait lui être dû mais aussi après une stimulation intellectuelle que personne n’avait envie de lui accorder.
Enfant, je croyais qu’il n’arrivait jamais rien de mal dans la vie des belles actrices que je voyais sur les écrans. Mais les tragédies des starlettes de l’âge d’or d’Hollywood nous sont familières : adulées, en quête d’amours effrénées, exploitées, droguées, parfois violées, lynchées par les médias, elles marquent l’histoire par leur aura surnaturelle et leur charisme hors du temps. Marilyn, Rita, Joan, Jayne, et les autres… Sans leur souffrance les aimerions-nous autant? Hedy Lamarr, grande figure de la MGM dans les années 40, n’a pas été épargnée par le fléau. Pourtant son histoire connaît des développements inattendus et permet de comprendre quelque chose qui nous échappe trop souvent dans les récits croustillants des scandales, des overdoses et des crises de nerfs.
La gueule du loup
Hedwig Kiesler, née en Autriche, est une enfant au tempérament curieux et téméraire. Elle se passionne pour la chimie et se rêve scientifique mais comprend assez vite le pouvoir qu’exerce sa grande beauté. Le type de beauté qui fait stopper les conversations et que toute jeune fille rêve un jour de posséder, à priori. Alors qu’elle commence à apprivoiser son image en posant pour des photographes, elle décide de sauter le pas et de devenir actrice. C’est ainsi qu’elle se retrouve dans Ecstasy, un film dont l’originalité est de montrer le premier orgasme féminin simulé sur un écran de cinéma. Un scandale. Hedy racontera que la scène en question a été montée pour faire croire à un coït alors qu’elle était initialement seule sur le plateau. Pourtant elle plonge dans l’aventure de son plein gré, jusqu’à se dénuder dans le film. Ses parents scandalisés la marient au premier riche notable venu, un marchand d’armes juif pro-nazi maladivement jaloux. Hedy invente un scénario rocambolesque pour lui échapper et atterrit à Londres chez des amis de sa famille. C’est là qu’elle nourrit l’envie d’une carrière hollywoodienne. Le destin mettra Louis B. Mayer sur son chemin. Alors qu’il lui propose des tarifs qu’elle trouve insuffisants, elle déborde d’ingéniosité pour se faire recruter sous de meilleurs conditions et, après avoir été rebaptisée, elle deviendra une nouvelle beauté fatale des collines d’Hollywood. Il est triste de voir dans le film l’énergie et la réflexion déployées pour exister et durer dans un système avilissant. Mais ce qu’on comprend en filigrane dans le documentaire d’Alexandra Dean, c’est qu’elle ne pensait pas avoir d’autres options pour se faire aimer, à défaut de se faire respecter.
Hautes fréquences
Hedy, beauté statuesque, peine à faire valoir son humanité et son sens de la convivialité.Mais si son corps est sacrifié sur l’autel d’Hollywood, son esprit fait de la résistance. Sans répit, elle cherche de nouvelles idées à développer pour la communauté. Elle qui a toujours été attirée par les nouvelles technologies et qui est très préoccupée par la guerre qui vient d’éclater en Europe, finit par mettre au point un système de codage de fréquences qui permettrait de téléguider les missiles afin de pouvoir modifier leur trajectoire en cours de route. Là encore se faire respecter sera un chemin de croix. Le reste est dans le film. Mais on connaît tous déjà la fin tragique et trop banale des femmes hors du commun comme Hedy Lamarr qui terminera sa vie recluse et ravagée par la chirurgie esthétique. Apercevoir son visage charcuté dans une des dernières images prises d’elle fait l’effet d’un électrochoc. On pense à toutes ces femmes accros à la chirurgie au point de se défigurer, qu’on condamne sans appel d’un regard. Réfléchir au potentiel intellectuel gâché des créatures de cinéma qui avaient compris que leur beauté était le seul moyen de s’en sortir, c’est s’ouvrir un champ inouï et effrayant de possibilités. Paraît-il que c’est comme ça qu’on démarre les contes de fée. Et si? Mais avec des si on mettrait Paris en bouteille.
Le documentaire d’Alexandra Dean n’a rien d’ébouriffant ni de très novateur dans sa forme. Mais le charisme, la singularité et la force inspirante d’Hedy Lamarr, bombe à ses dépens, le rendent passionnant. Si le film ne masque pas son faible pour son personnage, il évite l’écueil de l’hagiographie. L’intérêt du film c’est qu’il donne envie de réfléchir à un nouveau cinéma qui ne détruirait pas systématiquement ses icônes et qui rendrait aux femmes la souveraineté de leurs actes sans opposer liberté et séduction. Et c’est le moins que l’on puisse faire pour rendre hommage à ces figures sacrificielles qui brillent encore pour nous sur les trottoirs de Los Angeles et dans la mythologie du 7ème Art.
Hedy Lamarr : from Extase to Wifi. Documentaire. 86’. Réalisé par Alexandra Dean. Sortie France 6 juin 2018. Distribué par Urban Distributions.