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American Soul : ceux qui m’aiment prendront le Train

Au début des années 1970, il existait une oasis à la télé américaine où les gloires de la soul et de la funk venaient donner le meilleur d’elles-mêmes pour asseoir leur emprise sur les charts du pays. Cette émission, c’était Soul Train. Dès jeudi, BET propose une reconstitution dramatique pleine d’affection dévoilant la vie de son créateur et animateur pendant plus de 30 ans, Don Cornelius.

Curieuse initiative, à l’heure des sensations virales et du streaming, que de proposer un regard sur une des émissions phares de l’âge d’or de la soul et du funk, largement inconnue du public international : Soul Train. Le principe était simple : des danseurs young, black (or brown) et beautiful s’époumonaient sur les derniers tubes des artistes du moment, que ce soit des titans comme James Brown ou des jeunes pousses moins connues. Mais, plus que le décorum, c’est aussi son maître de cérémonie à la coolitude à la fois chaleureuse et distante, Don Cornelius, qui est devenu la figure la plus indissociable du programme. L’acteur de Power, Sinqua Walls, s’est glissé derrière les lunettes larges de l’animateur afin de retracer une partie de sa vie côté coulisses.

Et ce n’est pas une sinécure. Cornelius, en dehors de son émission-phare sur laquelle il avait la mainmise, était un homme d’une discrétion obsessionnelle à l’égard de sa privée, au point de choquer l’Amérique à la nouvelle de son suicide en 2012 – scène dramatisée dès la première séquence de la série, avec un mauvais goût qui entache un peu la qualité du reste.

Sur le papier, suivre Cornelius et en apprendre davantage  sur sa vie peut paraître aussi incongru que suivre Jacques Martin dans les coulisses de ses émissions du dimanche (ndr : et je regarderai cette série, mais là n’est pas le sujet). La première saison d’American Soul suit Don, producteur ambitieux mais assez solitaire de Chicago qui doit sacrifier sa vie de famille pour aller à Los Angeles tenter de lancer le programme de ses rêves. Plus qu’un programme, une victoire politique : une émission musicale produite par un Noir américain, à destination du public noir américain, avec des artistes qui n’ont plus uniquement American Bandstand (programme de variétés concurrent) comme tremplin télévisuel. Afin d’approcher les artistes et convaincre des managers aussi méfiants que véreux, il s’adjoint les services d’un patron de club qui va l’aider dans son entreprise, Gerald Aims (Jason Dirden).

Still of Sinqua Walls as Don Cornelius from BET’s « American Soul » episode 101. (Annette Brown/BET)

Dance Machine

En parallèle, American Soul suit également une chorégraphe engagée par Cornelius pour recruter des danseurs (Andrea Tucker), et un trio d’ados qui essaie de percer à travers un groupe de r&b… et dont il est télégraphié qu’ils auront leur chance grâce au programme de Cornelius. Ces personnages fictifs témoignent de l’impact qu’a eu l’émission sur les groupes signés par le label cogéré par Cornelius, Solar Records (créé en 1975). Une dissonance réelle : entre d’un côté, les machinations en night club avec alcool et coke pour décrocher les venues d’artistes ; et de l’autre, une ado aspirante danseuse et chanteuse à la voix d’ange répétant ses compositions au piano solo. Côté bande-son, American Soul n’enchaîne pas encore les tubes de l’époque comme un jukebox : les reprises de standard sont choisies et assurées par le légendaire producteur r&b Babyface, donnant à l’ensemble un vernis de professionnalisme que n’aurait pas renié Cornelius himself.

Pour le sériephile averti, les reconstitutions historiques des années 1960 gangrénées par le conflit au Viet-Nâm peuvent sembler familières. Pour donner vie à American Soul, Devon Greggory (auparavant à l’œuvre sur la peu vue Underground) s’est offert les services de Jonathan Prince, plus connu pour avoir créé pour NBC il y a 15 ans la prestigieuse chronique familiale American Dreams (vue alors sur TF1). Celle-ci faisait déjà la part belle à l’autre programme-phare de l’époque : American Bandstand, un modèle qui a inspiré Cornelius pour son propre Soul Train. Des danseurs, des chansons, des conflits raciaux et des émeutes sociales en toile de fond : les deux programmes semblent se répondre, même en étant situés dans deux villes différentes (Los Angeles pour American Soul, Philadelphie pour American Dreams). L’expertise de Jonathan Prince lui permet de doser habilement chroniques familiales, moments musicaux et invités de prestige, dont Kelly Rowland entraperçue en Gladys Knight dans le premier épisode (et plus tard, Bobby Brown ou la moins connue K. Michelle).

D’une ambition incontestable, American Soul délaisse les affres du showbiz et les anecdotes de coulisses – en tout cas, pour le moment – pour une chronique sociale parfois un peu mièvre, mais toujours emballée avec professionnalisme. Un OVNI au grand cœur qui détonne dans un paysage sériel plutôt maussade en ce début d’année.

American Soul, créée par Devon Greggory et Jonathan Prince. Dès le 7 février à 20h45 sur BET et en replay. 10×45 mn. Avec : Sinqua Walls, Jason Dirden, Perri Camper, Ashani Roberts, Katlyn Nichol.

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