11 fois Fátima : pour les masos
A travers 11 fois Fàtima, João Canijo ne fait pas de promotion pour l’office de tourisme du coin. Après Blood of my Blood (2011), il nous embarque avec 11 femmes en route vers Fàtima au Portugal. C’est pertinent certes. On a évité les douleurs physiques, mais notre patience a été éprouvée.
On peut avoir une vision très erronée de ce qu’est un pèlerinage, y voir un voyage épuisant que la spiritualité rendrait presque agréable… Il en est autrement sur la route de Fàtima. João Canijo nous fait suivre ces femmes, pendant plus deux heures, et la réalité c’est qu’un voyage à pieds est rythmé par des cris plaintifs, des ampoules aux pieds, les jambes qui ne suivent plus, les pauses toilettes au prochain café et des débats sur l’heure du déjeuner suivis de grandes questions sur la vaseline et son utilisation… Ce que l’on ressent face à ses marcheuses, c’est qu’elles sont davantage animées par la contrainte que par une réelle volonté de croyantes. Parmi elles, Isabel (Teresa Madruga), en gilet orange, provoque justement le contraste. Ana Maria (Rita Blanco) et les autres femmes en parlent dès les premières minutes et semblent dérangées par sa présence : elle qui n’est “même pas catholique” et qui marche pourtant sans dire mot, en première ligne. Peut-on participer à la compétition sans avoir la carte de membre?
11 fois Fàtima est fait de contradictions. Les chants sont entonnés dans les montagnes, pendant les repas, mais ils retentissent davantage pour dissiper les disputes que pour réunir autour d’une foi commune. Les règles, quant à elles, semblent arbitraires. Le credo : faire preuve de sacrifice pour la Vierge. En cas de kilomètre manquant dans votre parcours, faites ledit kilomètre en arrière puis en avant, et en cas d’ennui oubliez toute musique ou discussion agréable qui pourrait faciliter le trajet. On est là pour souffrir, pas pour faire une promenade champêtre ! Face à ce film, alors que l’on recherche la dimension spirituelle, on se heurte au fait que la religion n’échappe pas à un certain système. Former un groupe, d’accord, mais il faut que chacune garde le cap, le rythme, il ne faut pas ralentir les autres, il faut être performant. Ce que João Canijo nous montre ici c’est que tantôt le voyage a des airs de marathon auquel il ne manque qu’une “app” de running, tantôt il y a quelque chose d’anachronique dans le fait de marcher au bord d’une route pleine de voitures où l’on manque de se faire écraser.
Le voyage est marqué par une sorte de malentendu. 11 fois Fàtima aborde la désillusion du trajet, la complicité mise à mal, mais laisse en suspens la dimension mercantile du pèlerinage. Ici, on y fait juste allusion à travers les conductrices qui suivent les marcheuses, et dont l’argent est la seule motivation. Un pèlerinage peut avoir des airs de business, on le sait, mais João Canijo laisse le sujet à d’autres. Mais alors que vaut-il le pèlerinage aujourd’hui ?
De toutes ces contradictions émane un sentiment qu’une des doyennes verbalise : elles sont “nostalgiques d’un autre temps”. Cette marche n’a pas l’effet escompté, ces femmes n’en peuvent plus – tout comme nous – et petit à petit, les relations s’empirent. On comprend que ce provoque ce pèlerinage, ce n’est pas un rapprochement vers la Vierge ou tout autre raison spirituelle. Une fois que l’on a compris cela et que l’on pardonne João Canijo pour le supplice, on songe à ce qu’il souhaite réellement montrer du doigt. Alors on écarte toute motivation sadique du cinéaste et on observe encore une fois. Ces femmes submergées par la déception doivent chercher un fautif. Ana Maria devient le leader et va subtilement désigner le bouc-émissaire.
La division est ainsi très présente dans la réalisation de João Canijo. Dès les premiers kilomètres le groupe est scindé en deux, la vitesse en étant la cause. Et puis il y a cette femme en gilet orange, dont on sait dès le départ qu’elle est différente puisqu’elle qu’elle n’est pas catholique. C’est comme se mettre en compétition contre un poids léger quand on est un poids lourd, ça n’a pas de sens. Mais il faut quand même la déverser la violence, lorsque la chaleur monte à la tête, et le bouc-émissaire doit être bien choisi. Il faut que celui-ci soit à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du groupe. On repense alors aux premières minutes du film, celles où João Canijo a soigneusement isolée la jeune Céu, qui se démarquait déjà par sa stature. On embarquait alors sur les rails d’un travelling latéral en prenant un peu d’avance. Le rythme était soutenu, la foi présente, mais Céu semblait fuir ses camarades aux plaintes menaçantes. Toujours avec le même procédé Ana Maria, quant à elle, dictait les comportements autorisés et donnait la cadence. Et puis on pense aux plans où le groupe est réuni, les onze femmes chantant à tue-tête des chants religieux, Céu toujours en première ligne. L’image est forte : Céu est définitivement l’offrande que l’on traîne jusque sur l’autel, dans le désert, pour expier les fautes du groupe. Aux plaintes s’ajoute la cruauté, mais la dimension documentaire du film devient un circonstance atténuante. En mêlant les onze femmes aux vrais pèlerins, João Canijo donne à voir que les douleurs physiques prennent autant de place dans la réalité tout en les replaçant dans la fiction. Le calme des marcheurs réels contraste avec la crise de nerf des onze femmes, ce qui permet au cinéaste de nuancer son propos. 400 kilomètres ce n’est pas une partie de plaisir, mais on n’y laisse pas forcément sa tête non plus.
Au bout du chemin, la ville de Fàtima est bel et bien là (encore heureux), l’ambiance est joyeuse, on se tape la bise, les gilets jaunes de protection tombent pour laisser place aux torches que l’on allume tous ensemble pour donner le plus beau plan du film. La tempête a été bien longue et a mis en exergue une réflexion pertinente mais on sort sortie de la salle énervé avec l’envie de remettre la faute sur quelqu’un.
11 fois Fàtima. Un film de João Canijo. Avec Cléia Almeida, Vera Barreto Leite, Rita Blanco… Distribution : JHR Films. Durée : 2h33. Sortie France : 12 juin 2019.
Photo en Une : Anabela Moreira, Cléia Almeida. ©JHR Films.