Patar et Aubier : La course aux jouets
Des jouets animés dans des décors enfantins qui vivent des histoires aux limites du nonsense ? Vous ne rêvez pas : Cowboy et Indien sont de retour ! Les grandes vacances, nouveau volet de la saga Panique au Village était présenté il y a quelque temps en avant-première à l’Étrange Festival. Nous en avons profité pour poser quelques questions aux deux créateurs belges et espiègles Stéphane Aubier et Vincent Patar.
Propos recueillis par Julien Beaunay et Julien Savès.
Les Julien(s) : Revenons d’abord aux origines de Panique au Village, où commence l’aventure des personnages Cheval, Cowboy et Indien ?
Vincent Patar : L’aventure Panique au Village remonte à nos films d’école à La Cambre. Stéphane y a réalisé une sorte de film prototype. Nous nous amusions à manipuler des objets. Nous faisions beaucoup de choses ensemble. En dernière année, les professeurs nous ont dit : « Travaillez chacun de votre côté, parce que c’est bien beau de créer ensemble, mais il faudrait explorer un peu ailleurs ». Je suis donc allé de mon côté et Stéphane, du sien, avec l’envie de toucher à la technique du stop-motion. Il possédait toute une collection de figurines d’animaux de ferme. Il s’est dit : « Ah ben tiens, il y a moyen de faire des petits mouvements amusants avec ». Il a réalisé un petit film pratiquement improvisé, carrément punk. Je me souviens que tu planchais sur le storyboard tout en avançant sur l’animation.
Stéphane Aubier : Le film consistait en un plan fixe sur un petit village, avec un pont et une rivière qui passe entre deux quartiers. J’avais animé de minuscules voitures faites en carton. J’étais comme un enfant qui s’amuse avec une caméra devant son décor. J’avais l’impression, je ne sais pas pourquoi, que j’étais en train de concevoir un fond d’écran, le genre de fond d’écran que l’on utilisait avant sur les ordinateurs avec leurs boucles incessantes. Cela m’a inspiré et j’ai repensé aux petites figurines que l’on trouvait à l’époque un peu partout dans les magasins. Je me souviens notamment d’un petit sanglier avec trois positions différentes, il suffisait de prendre deux sangliers, de casser la patte de l’un avec un cutter, puis de la recoller avec de la superglue dans l’autre sens et on obtenait deux sangliers avec une légère différence. Un style d’animation très basique.
Les Julien(s) : Un style qui a forcément évolué vers plus de complexité et a donc bénéficié d’un plus large éventail de possibilités.
Patar et Aubier : Dans un premier temps, il y avait peu de manipulations, nous nous contentions d’attitudes ou positions différentes d’une même figurine. Nous découpions et repositionnions en fonction des plans souhaités. Cependant, les manipulations étaient réduites. Il y avait aussi la possibilité de jouer avec les tailles. Par exemple, il y avait un personnage de chasseur, issu d’une collection de petites figurines militaires de couleur bleu, se ressemblant toutes, qui mesurait à peine 2 cm de haut, alors que le chien qui l’accompagnait mesurait 4 cm de haut. Au fur et à mesure, nous avons utilisé le moulage et créé des personnages de base. Cheval, Cowboy et Indien, tels que vous les connaissez maintenant, sont des morceaux de nombreuses figurines de cowboys, d’indiens et de chevaux façonnées selon nos envies. Toutes les positions sont maintenant créées à partir de moules. Nous faisons des dessins au préalable, avec toutes les attitudes dont nous avons besoin. Il ne faut pas oublier que ce sont des jouets rigides, nous ne manipulons pas de plasticine comme Aardman le fait dans Wallace et Gromit. C’est vraiment de l’animation par substitution qui s’apparente un peu à l’animation traditionnelle du dessin animé, c’est-à-dire remplacer et faire coulisser les dessins devant la caméra pour les filmer image par image. C’est un peu le même principe sauf que nous travaillons en volume.
Les Julien(s) : Comment êtes-vous passés d’un film de fin d’études prototype à la « saga » actuelle que l’on connaît, avec ses nombreux épisodes de durée variable et même un long-métrage ?
Patar et Aubier : Le film de fin d’études a dormi pendant dix bonnes années. A l’époque, quand nous finissions nos films, ils se retrouvaient copiés sur cassettes VHS et, un peu par hasard, ils circulaient dans les centres culturels à Bruxelles. Des projections alternatives s’organisaient et la réception était plutôt bonne, car les spectateurs comprenaient la référence nostalgique aux figurines de leur enfance. Plus tard, quand nous avons réalisé les courts métrages de Pic-Pic et André avec une technique classique de dessin animé en 2D, nous nous sommes interrogés : « Est-ce que l’on va continuer toute notre vie à faire des dessins animés comme cela ? C’est quand même un peu laborieux… ». Nous avions seulement réalisé trois courts en dix ans. Vincent Tavier nous a dit alors : « Les gars, si vous voulez vraiment vivre de vos films, il faudrait passer à la vitesse supérieure ». C’est en revoyant ce film d’école que nous avons eu le déclic. Le concept fonctionnait et il y avait moyen de le développer. Nous avons réalisé un pilote qui a été sélectionné au Festival d’Animation d’Annecy et a remporté le Grand Prix. Du coup, nous avons été remarqués par les Programmes Courts de Canal+ et nous nous sommes lancés dans une série de vingt épisodes.
Au moment du pilote, nous avons retravaillé le concept d’origine, en réfléchissant à de nouveaux personnages. Ce que l’on trouvait le plus facilement comme figurine parmi toutes celles qui existent de par le monde, c’étaient des cowboys, des indiens et des chevaux. Par conséquent, ils allaient devenir nos personnages principaux. Au moment de se lancer dans la série, nous avions un nombre conséquent de positions ou attitudes différentes pour Cowboy et Indien. Alors même qu’ils étaient des personnages en plastique, non moulés, que nous coupions au cutter puis recollions à la colle chaude. Le passage au moule s’est amorcé juste avant de se lancer dans le long-métrage. Nous nous sommes rendus compte que le concept de fouiller dans les brocantes à la recherche de jouets et figurines, puis de transformer ce que nous trouvions, ne tenait pas la route à la longue. Nous avons travaillé avec une collaboratrice ici en France qui s’est concentrée sur les têtes des figurines et a commencé à repenser la globalité du concept. Nous avons alors créé nos propres figurines, à partir de moules en silicone et dans lesquels nous mettions une matière en résine. Quand on la sort du moule, on peut modifier son personnage, on peut lui donner des expressions, des positions différentes, du coup c’était plus facile et précis.
Les Julien(s) : Continuez-vous à vous inspirer quand même des jouets ou figurines découvertes par hasard pour vos nouvelles histoires ou vous basez-vous dorénavant sur ce que vous pouvez imaginer ?
Patar et Aubier : C’est vraiment l’histoire qui dicte maintenant ce que nous devons créer en termes de personnages et d’attitudes. Nous avons toujours des surprises, mais nous nous sommes stabilisés dans le processus de fabrication. Nous sommes plus concentrés sur l’écriture. À la base, cela reste de la récupération de vieux jouets dont on se sépare. C’est ce concept qui nous motivait au départ, donc nous essayons de rester dans le même état d’esprit. De toute façon, tous les personnages créés, même dans les précédents films, reviennent sur la table, nous les réutilisons. Et souvent, il y a des attitudes, des positions qui reviennent. C’est un peu comme des notes de musique, des accords solides sur lesquels se reposer. Il y a toujours ces éléments, ces objets, que nous allons rechercher malgré tout ; ils sont là depuis le début, nous y sommes attachés, des sortes de figurines historiques qui nous suivent depuis très longtemps. Toutefois, il y a des modèles que nous créons spécialement pour chaque film. C’est souvent parce qu’il n’existe pas de position dans laquelle nous voudrions raconter telle scène ou telle autre. Nous avons maintenant plusieurs centaines d’attitudes différentes, surtout pour les personnages principaux. Même notre corps humain ne peut pas avoir autant d’attitudes ! (rires)
Cette profusion est très utile quand nous travaillons sur cinq plateaux différents et qu’il y a plusieurs animateurs dans l’équipe. Ils nous demandent parfois que pour une scène précise, Cowboy fasse ce mouvement-là. Alors, il faut se rendre dans l’espace commun où sont positionnées toutes les figurines, puis faire son « marché ». Des figurines, il y en a plein, il y en a même trop ! À un moment donné, c’est vraiment difficile de choisir. Il y a toujours une attitude qui revient plus qu’une autre et nous allons donc la chercher, mais évidemment elle n’est plus disponible… Où est-elle donc ? (rires) Il faut passer de plateau en plateau, s’intéresser un peu à ce que font les autres et leur demander si par hasard ils ne l’auraient pas vu. Nous sommes de gros gâtés, avec plein de figurines et malgré tout ce sont souvent les mêmes qui reviennent. Par exemple, pour les cycles de marche de Cheval, il n’y en a qu’un, parce que cela coûte très cher. C’est aussi le cas pour certaines attitudes rigolotes de Cowboy et Indien que nous trouvons chouettes.
Les Julien(s) :Est-ce que ce n’est pas d’ailleurs cela qui fait le sel auprès du public ? Des attitudes dont on se rappelle et qui nous font rire, cela imprime un fort sentiment de nostalgie chez le spectateur.
Patar et Aubier : Pourtant la génération qui jouait avec ces figurines est maintenant plutôt proche du cimetière ! (rires) Les gens qui créaient ces figurines historiques avaient un réel talent. Elles ont aujourd’hui encore des expressions formidables. Nous avons trouvé plusieurs figurines magnifiques de cette époque dont nous ne savons pas encore quoi faire. Nous les gardons en l’état, parce qu’elles ont une attitude bien particulière, très cinématographique. Nous aimons bien détourner ces personnages-là. Ce sont souvent des jouets de guerre, mais comme nous ne parlons jamais de la guerre, nous préférons les imaginer faire des bêtises mais surtout pas la guerre ! (rires)
Les Julien(s) : Est-ce que votre recherche d’objets de décors ou d’accessoires se fait aussi de cette façon ? Allez-vous chercher des éléments qui existent déjà ou préférez-vous les créer ?
Patar et Aubier : Tous les objets, tous les props sont dessinés par nos soins suivant nos besoins. Comme nous aimons bien l’architecture et le design, nous nous amusons à recréer tous ces objets.
Les Julien(s) : Dans votre dernier film (Les grandes vacances, 2021), il y a un très gros cadenas que le gendarme utilise pour fermer sa maison avant de partir en vacances (le cadenas est plus grand que la maison), l’avez-vous trouvé en l’état ?
Patar et Aubier : Non, celui-ci est une reproduction. Nous aimons bien les objets symboliques, la possibilité de les réinterpréter à notre manière. Le spectateur a très peu de temps pour comprendre l’image donc il faut que ce soit le plus lisible possible. L’idée du cadenas, c’est un peu comme la « grosse tartine » que Janine prépare à Steven. Nous nous sommes demandés comment faire et avons fini par prendre une vraie tranche de pain. Là aussi, nous jouons sur les proportions. Des éléments impossibles à déplacer dans la réalité, mais qui le sont facilement pour eux. Ce genre d’idées vient souvent dans les dessins préparatoires. C’est un peu comme les dessinateurs de strip, ils ont peu de temps pour raconter quelque chose, donc ils grossissent le trait. Plutôt que de faire un petit cadenas normal, nous le mettons en très grand comme ça tout le monde comprend en deux secondes que c’est un cadenas et qu’il sert à fermer une porte. Cela caractérise de plus le personnage.
Les Julien(s) : Comment définiriez-vous l’approche humoristique de Panique au Village ? Est-ce du nonsense à la Monty Python ou du surréalisme à la Dalí (notamment cette scène de rêve dans votre dernier court-métrage, Les grandes vacances) ?
Patar et Aubier : Oui, ce sont des choses qui nous inspirent. D’ailleurs, pour la scène de rêve, nous avons repensé aux collaborations de Dalí au cinéma, notamment la scène de rêve du film d’Hitchcock, La Maison du docteur Edwardes. Cette histoire de rêve, c’est parce que dans toutes les histoires de Panique au Village, pour les formats de 26 minutes, ce sont toujours Cowboy et Indien qui trouvent la solution au problème presque sans le vouloir. Malgré leur manière de vivre et les conneries qu’ils font tout le temps, ils arrivent toujours à s’en sortir ou arriver à leurs fins. Ici, il y a cette histoire de course cycliste, on ne voit pas comment Cowboy et Indien vont s’en sortir, d’autant plus qu’ils ont triché. La seule chose à faire, c’est que ce soit leur inconscient qui parvienne à les sauver de cette mauvaise situation. Mais il ne fallait pas qu’ils aient conscience d’avoir gagné la course sinon il y aurait eu quelque chose de discutable. La seule manière de gagner sans qu’ils s’en rendent compte, c’était le rêve.
Panique au Village est quelque part une tranche de vie que l’on pourrait tous vivre sauf que c’est extrapolé évidemment. On est pas loin du documentaire et en même temps il y a une dimension poétique. Ce n’est pas vraiment du gag pour du gag comme dans les dessins animés de Tex Avery, c’est plutôt nourri par la vie de tous les jours ou par les gens qui se baladent dans la rue avec leurs animaux, leur façon de se comporter. C’est notre vraie source d’inspiration. Nous ne nous moquons pas d’eux, nous les trouvons attachants et drôles malgré eux.
Les Julien(s) : On voit souvent dans Panique au Village (notamment dans le tout dernier) des petits clins d’œil à Pic-Pic et André. Seraient-ils sur le point de revenir d’une façon ou d’une autre ?
Patar et Aubier : Bah oui ! Nous avons un projet et avons même obtenu une aide à l’écriture en Belgique pour développer Pic-Pic et André en série.
Les Julien(s) : Génial !
Patar et Aubier : Ce sera un autre format, les personnages seront plus humains, ils auront conscience d’être des personnages particuliers mais aussi qu’ils ne sont pas juste comme cela. Même s’ils sont complètement bêtes, ils ont aussi une conscience, un peu comme Cowboy et Indien.
Les Julien(s) : Nous parlions juste avant de Pic-Pic et André. Vous avez également travaillé sur Ernest et Célestine, autant de films qui utilisent des techniques traditionnelles d’animation. Qu’est-ce que ce va-et-vient constant entre plusieurs types de technique a apporté à votre travail ? Est-ce que cela l’a nourri ?
Patar et Aubier : Oui, vraiment. Dans le cas d’Ernest et Célestine, c’est déjà une rencontre, celle avec Benjamin Renner. Quand nous avons commencé à travailler sur l’adaptation du scénario de Daniel Pennac, au moment de la division des séquences, il y avait des échanges entre nous et on pouvait observer la manière dont Benjamin racontait une séquence et toutes les idées qu’il mettait en place. Nous trouvions cela impressionnant. Cela a été vraiment formidable de travailler avec lui. Nous avons essayé de nous mettre à son niveau. Cela nous a apporté beaucoup au niveau de l’écriture, de la mise en place d’un découpage, d’un storyboard.
Le travail avec Davy Durand et Jean Regnaud sur Chien Pourri était aussi une grande expérience. De toute façon, le cinéma est un travail d’équipe. Du coup, le fait de ne pas se retrouver forcément dans l’univers où nous avons l’habitude d’évoluer nous nourrit et nous apporte énormément. Nous nous sommes très bien entendus avec tous ces gens-là, ce qui n’était pas forcément évident, car nous ne nous connaissions pas. Et pourtant, nous nous sommes tout de suite respectés. Chacun venait d’horizons différents et chaque expérience personnelle a nourri les personnages adaptés des univers de Gabrielle Vincent (Ernest et Célestine) ou Marc Boutavant (Chien Pourri). Nous avions juste à alimenter un peu plus ces histoires et les faire vivre en image. Nous avons quand même la chance en France ou Belgique d’avoir toute cette vague de très bons réalisateurs et animateurs depuis pas mal d’années. Partager tous ces moments avec eux a été une grande joie !
Crédits Photo : © Julien Savès.
Remerciements à L’Étrange Festival et Estelle Lacaud et toute son équipe.