Entretien avec Jean-Baptiste de Laubier (Para One)
A l’occasion de la sortie de Spectre : Sanity, madness and the family, son premier long-métrage, nous avons rencontré Jean-Baptiste de Laubier (alias Para One). Il nous parle de son rapport à la musique, à la mémoire – et puis du film, qui retrace son enfance au sein d’une communauté à l’atmosphère inquiétante et envoûtante, influencée par Chris, son maître spirituel. Des platines à la caméra, entretien avec un artiste aux mille visages.
Propos recueillis par Liana Valken
Liana : Tu as travaillé sur le projet Spectre pendant près de dix ans. Comment est-ce que tu te sens aujourd’hui ?
Para One : Je me sens extrêmement bien. Il y a même une certaine euphorie, comme une effervescence. Je me suis toujours dit : on verra quand ça sortira. Et ça y est. Non seulement ça y est pour le film, mais le disque est sorti et je commence à jouer le live. C’est très enthousiasmant, c’est joyeux – même s’il y a quand même une forme d’appréhension parce que le sujet est intime et que je me dévoile énormément. J’ai toujours cru à ce projet, même si c’était aussi un pari. Je me suis retrouvé un jour avec mon équipe pour aller sur l’île de Sado. Il y avait une tempête, le train était bloqué. Le bateau avait du retard. Je me suis dit : je suis en train de dépenser des ponts d’or pour une lubie qui n’arrivera jamais. On est fous. Je suis fou. Je me le suis dit pas mal de fois. Aujourd’hui, tout ça prend son sens et les choses retombent en place. Chaque sacrifice, chaque engagement et chaque minute passée nourrissent l’ensemble.
L. : Chris affirme dans le film que « derrière chaque fou se cache un prophète ». Est-ce un critère pour la création, et est-ce qu’il faut forcément être fou pour être un prophète ou un artiste ?
P. O. : Les grands maîtres spirituels proposent des changements de paradigme. Toutes les grandes propositions religieuses correspondent à un principe d’inversion. Elles disent : non, cette personne n’est pas folle, elle en sait plus que nous. Dans le catholicisme, les premiers seront les derniers. C’est presque une phrase hollywoodienne : dans beaucoup de films, c’est le personnage qui continue d’y croire malgré tout qui est fou. En fait, il a raison, les extraterrestres finissent par arriver. Ce sont les gens fermés d’esprit qui ne l’écoutent pas. Cette vision chamanique du fou à qui on donnerait un rôle de sorcier, elle me plaît bien. Évidemment que ça fait un effet miroir sur mon approche du métier. Ce que je te racontais à l’instant sur ce moment au Japon, ça me fait toujours penser à la séquence de la fabrication de la cloche dans Andreï Roublev de Tarkovski. Un adolescent au fin fond de la grande Russie dit : si vous cherchez quelqu’un pour dessiner la cloche de la cathédrale, moi, je sais le faire. Tout le monde s’y met, des centaines de personnes travaillent pendant des mois. A la fin, l’adolescent, pleure de bonheur et on se rend compte avec lui qu’il ne savait absolument pas faire la cloche, qu’il avait bluffé. C’est une métaphore de la vie de l’artiste selon Tarkovski, et je me reconnais tout à fait là-dedans. Pour embarquer des gens dans un tel projet… Il faut de la foi.
L. : Dans le film, la figure de Chris est troublante. On comprend qu’il y a une part de danger, mais on s’identifie aussi à ce qu’il dit. On est séduits. D’ailleurs, il te ressemble : c’est un artiste, qui compose de la musique. Comment est-ce que tu te positionnes par rapport à ce personnage ? Est-ce que là aussi il y a quelque chose de la folie, du dédoublement?
P. O. : C’est très juste, il y a une part de moi dans ce personnage. D’abord, parce que je pense que quand on écrit une histoire, même si c’est une histoire documentaire, on met de soi dans tous les personnages. Et puis aussi parce que je n’ai jamais aimé les récits édifiants, ceux où on saisit tout de suite qui est le méchant. Dans le film, on comprend que Chris est quelqu’un qui a peut-être une bonne intention. Ce qui m’intéressait, c’était que le spectateur commence à s’y prendre lui aussi. A se dire : c’est pas si bête, je pourrais croire à ce genre de phrases. Parce que c’est comme ça qu’on raconte l’emprise. J’ai été adolescent dans les années 1990 et les grands reportages sur les sectes étaient à la mode, mais elles étaient souvent traitées comme quelque chose de grotesque. Ça paraissait évident, on se disait : mais qui sont ces gens idiots qui se sont laissés avoir ? En l’occurrence, la famille du personnage n’a pas l’air idiote : ils sont en souffrance, ils cherchent des réponses, et ils sont prêts à écouter. Si quelqu’un leur dit : votre fille n’est pas malade, elle va très bien, c’est fabuleux à entendre pour eux. Et pour expliquer l’emprise, il faut un minimum la faire vivre en temps réel.
L. : Le film nous plonge presque dans un état de transe. On a l’impression que tu cherches à nous hypnotiser, et ça marche plutôt bien.
P. O. : Je m’en rends compte aujourd’hui. Le film emprunte à la logique du rêve, qui passe par des associations. Il y a beaucoup de raccords-motifs. C’est comme un rêve que j’aurais bricolé avec les moyens du cinéma. C’est ce que j’aime aussi dans les films de Dziga Vertov : la jouissance d’essayer tout ce qu’on pourrait faire avec le montage et avec la caméra. Et là, il y avait cette même jouissance à se dire : on est sur une plage, puis sur une autre, c’est en réalité à neuf mille kilomètres, dix ans plus tôt – mais c’est toujours la mer. C’est un film tentaculaire, un film-cerveau, qui correspond à un état de demi-conscience. Il y a un journaliste qui m’a dit qu’il s’était endormi vers la moitié du film, mais qu’il n’avait pas trouvé que c’était une mauvaise nouvelle. Peut-être qu’une partie de son rêve a influencé le film. Ou l’inverse. Et j’aime bien ça. Autant je trouve les séquences de rêve difficiles et compliquées au cinéma – à part chez Tarkovski où elles sont fabuleuses -, mais cet état de demi-veille m’intéresse beaucoup. C’est une forme de vulnérabilité et d’ouverture d’esprit. J’en ai besoin de la part du spectateur, pour lui faire accepter l’objet étrange que je lui offre.
L. : La mer est un élément très présent. C’était déjà le cas dans ton court métrage It was on earth that I knew joy. Quelle place occupe-t-elle dans ta création ? De manière plus personnelle, est-ce qu’il y a des mers, des rivages qui t’ont marqué ?
P. O. : C’est un film assez peu incarné par des acteurs ou des visages. Et je suis pourtant convaincu que le cinéma est une affaire d’incarnation. Or, la puissance du décor tellurique de la mer, élément matriciel du film, lui donne peut-être cette force-là. C’est un tout, un lieu de vie et de mort, un lieu métaphysique. On peut être effrayé par la mer, on peut y voir l’avenir, ou au contraire se laisser engloutir. On peut en naître, on peut en mourir. J’en avais besoin. Dans mon film, la mer est un lieu de rendez-vous. On y retourne sans cesse. C’est un endroit que je connais depuis ma naissance, sur lequel je retourne régulièrement – près de la côte sauvage en France, entre la Bretagne et la Vendée. A chaque fois qu’on se retrouve sur le même décor, on ressent quelque chose de complètement différent. Le même endroit, les mêmes personnages, tout a changé. J’aime la nudité du décor et je suis fasciné par les vestiges de la guerre, par cette espèce de brutalisme flippant qu’on peut trouver sur certains rivages, en France et au Japon.
L. : Ce sont les visages, pourtant, qui m’ont marquée dans le film. Surtout celui d’Ivan, dans une scène où il est éclairé par un rayon de soleil.
P. O. : Je n’ai pas voulu me mettre en scène en tant qu’acteur, et j’ai eu peur de faire un film sans visage. Pourtant, au fond, je suis persuadé moi aussi qu’on peut être marqué par une rencontre avec un visage sur quelques photogrammes. On n’est pas obligé de contempler quelqu’un pendant trois heures pour que ça marche. C’est comme si on croisait quelqu’un dans la rue. Il y en a énormément dans le film, effectivement.
L. : On les retient d’autant plus qu’ils sont rares. Le film évoque le monde des machines et reste pourtant particulièrement humain. On ressent avec beaucoup d’intimité ton rapport aux autres.
P. O. : C’est vrai que j’ai un rapport sensuel à ce monde-là. Il y a une forme d’animisme dans mon lien aux machines – pas seulement le mien, d’ailleurs. En réalité, on est hybridés, il faut l’assumer, le regarder. Ou alors il faut le couper complètement, c’est possible et je me verrais tout à fait le faire. Mais en l’occurrence, je cherchais une autre forme d’incarnation, qui n’est pas forcément souvent montrée au cinéma.
L. : Dans Sans soleil de Chris Marker, j’ai noté une phrase : « Il prétend que la matière électronique est la seule qui puisse traiter le sentiment, la mémoire, et l’imagination ». Je trouvais que ça représentait assez bien ce que tu faisais.
P. O. : J’allais justement te citer cette phrase. Hayao, le personnage qui la prononce, représente en réalité Marker lui-même – c’est là où il est un peu pervers puisqu’il fait écrire des lettres à des gens, mais c’est souvent lui-même qui s’écrit, c’est une part de son cerveau qui lui parle. C’est une phrase qui me semble très juste. L’émotion, la pure sensation, nous ont été racontées avec les mêmes codes stylistiques, vus et revus depuis la Renaissance. L’électronique apporte une vraie fraîcheur. Et ces images désincarnées – qui ont pourtant une matière et se proposent pour ce qu’elles sont, juste comme des images, comme dirait Chris Marker – font partie de la sensualité plastique du film.
L. : Ça me fait penser aux clips qui accompagnent ton album, sur lesquels tu as travaillé avec William Laboury. Ils représentent un monde apaisant, un univers où les humains vivraient au milieu des machines. Finalement, pas vraiment une dystopie.
P. O. : Tu viens presque de citer « All watched over by machines of loving grace » de Richard Brautigan – le titre de l’album. Ce poème de Brautigan, son espèce d’utopie d’hybridation de l’homme et de la machine, me permet de mettre à distance une certaine pensée réactionnaire qu’on aurait tous tendance à avoir : celle de la peur et de la technophobie. Brautigan propose d’accepter la technologie. Je ne suis ni technophile, ni post humaniste : c’est simplement l’idée d’un vivre-ensemble au temps présent. Je pense à deux références. D’abord, Donna Haraway, qui a écrit le Manifeste Cyborg et qui travaille sur cette frontière entre l’humain et la machine et entre l’humain et l’animal. Cela lui permet de brouiller d’autres limites, par exemple le genre, qu’on a tendance à définir trop scientifiquement. Puis William Gibson, qui affirmait ne pas comprendre pourquoi les gens avaient peur des cyborg, puisque nous sommes déjà augmentés. On a tous des bouts de métal dans les dents, des lunettes pour mieux voir, on est sous assistance. Cette hybridation, je crois qu’il faut la regarder en face. Ce n’est pas un programme politique mais une impression. On est angoissés par le non-humain, alors qu’on en est entourés. La proposition du film, qui est peut-être délirante, c’est l’idée d’accepter cette part de non-humain. Le film se termine au Japon pour cette raison : c’est un pays d’animisme, où les gens vénèrent parfois les objets. Ils leur attribuent la possibilité d’être incarnés par un esprit. En somme, je suis convaincu que l’écologie et la technologie ne sont pas antinomiques.
L. : L’activiste américain Mario Savio, dans le discours que tu intègres au film, évoque les machines comme quelque chose de plus violent, de plus conflictuel. Pour moi, ça désignait l’État capitaliste, chose contre laquelle il faut se battre.
P. O. : C’est ce que veut dire Savio, bien sûr. C’est un truc d’altermondialiste. C’est le freethinking américain. Avec Oppenheimer, ce sont les grands discours du XXe siècle qui sont importants pour moi, qui tracent des points cardinaux. Pour autant, ce ne sont pas des pensées qui sont compatibles. L’idée du film justement, c’est de rendre compatible les choses incompatibles. C’est un syncrétisme un peu fou. Chris est comme ça : tu ne peux pas mettre dans une même phrase la pensée zen, Saint Ignace de Loyola et le jésuitisme. Lui, il le fait. Et moi, en tant que démiurge créateur de monde – ou créateur de film – je fais cette étincelle – qui est absurde, je suis d’accord avec toi. Le lien entre le discours et Spectre réside dans l’idée d’une utopie perdue, effondrée, d’un système qui s’est écroulé. Savio c’est ça, c’est presque archéologique : comment le peuple a pu renaître en détruisant un ancien monde. Ça fait partie de son épaisseur un peu vague. Vague pour moi parce que je suis un artiste, vague pour Chris parce qu’il est un peu fou aussi. C’est une sorte d’idéologie complexe, qui n’est pas réellement structurée et qui promet l’avènement d’un nouveau monde, en passant par la destruction de l’ancien.
L. : J’ai l’impression qu’une scène est centrale dans le film, celle où Ivan est debout sur le toit, et que le morceau Shin Sekai commence. Il y a une beauté que je n’ai pas vraiment réussi à expliquer.
P. O. : Elle est centrale dans le film, tu as raison. C’est un moment de tournage assez fort, où le réel et la fiction s’entremêlent – mais je ne veux pas en dire plus, parce que mon travail n’est pas de décoder mais d’encoder. Ça fait partie des moments de plaisir et de jouissance dans le travail. On se dit : là, c’est beau. Et on ne peut pas l’expliquer. Sans aller jusqu’à citer Kant, on pourrait dire que c’est une dimension esthétique peut-être inutile, gratuite. Mais elle a eu un impact sur toi : et c’est pour ce genre de moments que je fais des films. Être dans un endroit, puis dans un autre, et trouver ça beau. Comme dans un rêve, c’est ça dont tu te souviens : cette transformation.
L. : Tu as toujours travaillé sur la frontière entre la vérité et l’invention. Qu’est-ce qui explique cette obsession ?
P. O. : Il y a une raison qui est très psychanalytique, c’est Céline Sciamma qui me l’a expliquée. On a toujours cherché à écrire de la fiction ensemble, et elle est très forte pour cette écriture et pour se l’approprier. Moi, j’avais du mal. J’ai réalisé beaucoup de courts-métrages qui étaient basés sur de la biographie ou sur de l’autobiographie. J’avais besoin du réel. Et puis, c’est aussi parce que j’ai grandi avec une grande part de mystère, comme on peut le voir dans le film. Alors, forcément, quand il y a de l’ombre, on met de la fiction. Quand il y a du mystère, on remplace. Mais j’ai besoin d’une convention de réel avant de créer un récit. Seulement ensuite, j’essaie de tracer les liens manquants. Ici, il m’était impossible de prendre comme point de départ du film autre chose qu’un matériau intime et réel. En même temps, il y avait l’extrême exigence de la décence, de la pudeur et du respect de l’intimité de chacun: j’étais forcé à la fiction. Ce n’est donc pas vraiment un choix de ma part : c’est comme ça que je suis fait. Mon but n’était pas de manipuler. C’était vraiment une exploration, et dans cette exploration je m’autorise une part de rêverie. J’assume aussi le fait que tout récit est une reconstruction, que la mémoire est imparfaite. On croit se souvenir des choses, mais en réalité on se souvient de notre impression des choses.
L. : Chez Bresson, il y a une phrase qui ressemble beaucoup à ce que tu dis. « Le réel arrivé à l’esprit n’est déjà plus du réel ». Il est déformé par notre mémoire.
P. O. : Bien sûr. De toute façon, Bresson est le théoricien qu’on a tous envie d’avoir avalé et digéré. Il propose une forme d’absolu que personne n’arrive à toucher – même pas lui, d’ailleurs, il le sait. Oui, Bresson est une grande influence. Ça ne m’étonne pas du tout, ça ressort peut-être inconsciemment dans mon travail.
L. : Quelles sont les scènes, au cinéma ou en littérature, qui t’ont marquées à ce sujet ?
P. O. : En littérature, je pense à Emmanuel Carrère. Il y a beaucoup de courage et de précision dans son travail. Quand il écrit sur Saint-Paul, il dit : je ne sais pas comment il a vécu pendant ces années-là. Mon travail d’écrivain, c’est de l’imaginer. Je dois écrire quand même. Je trouve ça touchant, parce qu’on est avec lui et on se dit qu’on va imaginer ensemble. Ça devient un conte. Ensuite, au cinéma, je pense surtout à Chris Marker… Mais j’en parle tellement que j’ai l’impression que mon film est une sorte de généalogie de lui. Il l’évoque dans Sans soleil dans tous les sens. Dans L’ambassade aussi : c’est un film de fiction où il fait croire à un documentaire, jusqu’à ce qu’on se rende compte que c’est simplement tourné caméra au poing, avec une bande de figurants. Il joue sur cette fine ligne entre documentaire et fiction, manipulation, propagande.
L. : Justement, quelle relation est-ce que tu entretiens avec lui ? Quand il y a quelqu’un comme Chris Marker dont on admire le travail, comment est-ce qu’on l’intègre au nôtre ?
P. O. : J’assume ma propre influence. Je pense que c’est sain de le faire. En réalité, on n’invente rien : on crée à plusieurs, collectivement. Je vois les choses comme un réseau. L’erreur, c’est de se prendre justement pour un démiurge, qui fait tout tout seul et qui n’est pas remis en question. Marker et Godard sont des voies de garage de la cinéphilie, qui n’ont pas de successeur et qui n’en cherchent pas vraiment – et en même temps, ce sont des auteurs qui citent énormément et proposent des formes. Ces formes, on peut en disposer. Marker emprunte la Zone à Tarkovski et la fait vivre d’une autre manière. Moi, je la prête à William Laboury, qui la reprend, et je la remets dans mon film. J’aime cette communauté des esprits, où on joue avec les mêmes choses. Je pense que ça n’enlève rien au côté personnel de ma démarche. Si je n’emprunte pas mes formes à Marker, je les emprunterai fatalement quelque part. Comme tout le monde, en fait : le cinéma français, par exemple, emprunte à la Nouvelle Vague. Moi, je suis conscient que j’emprunte à une forme de cinéphilie qui est très marquée stylistiquement. Je l’assume, parce que c’est quelque chose que j’ai envie de continuer à faire vivre, comme un amateur. Ce côté collage, bricolage. C’est peut-être aussi une étape, et ça évoluera.
L. : Quelle relation y a-t-il pour toi entre la musique et l’image ?
P. O. : Je dirais que le son et la musique représentent l’inconscient du film. C’est drôle, parce que tu parles d’univers du rêve. C’est vrai que Spectre est un film très chargé en son, avec la musique mixée fort. Il y a cet enveloppement par lequel tu rentres dans une forme de transe. Dans La naissance des pieuvres de Céline Sciamma, qui est le premier long-métrage dont j’ai fait la musique, il y a un côté sentimental et mélancolique des personnages qui passe par la musique. Elle est comme un monde souterrain avec des pieuvres et des tentacules ; avec des émotions, des jalousies et des passions. La musique représente un élément qui parle sans les mots, mutique et puissant. Je pourrais en parler des heures. Spectre est un film où je me suis autorisé à le faire plus que de raison, jusqu’à la folie. Il y a une profusion de musique qui donne un côté hallucinogène. C’est peut-être la première fois – et la dernière, d’ailleurs – que j’ai l’occasion de le faire à ce point-là.
L. : Tu penses que ce sera la dernière ?
P. O. : Je dis ça parce qu’en toute humilité, on est dans une industrie mise en péril par le monde extérieur, les pandémies, le manque d’argent, le manque de prise de risque… Mais je ferai des films avec mon iPhone s’il le faut. J’ai fait de la musique toute ma vie dans ma chambre : je ne m’arrêterai jamais de faire des films. J’ai juste mis quinze ou vingt ans à faire celui-là…
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