Cannes 2022 l Jour 4 : Son père, son héros
Malheur, vous avez dit Miller ? Présenté Hors Compétition (tu m’étonnes), Trois Mille Ans à T’attendre est plus qu’une déception, c’est un embarrassement, surtout de la part du papa des Mad Max. Il est évident que rien dans cette histoire ne nécessitait de poireauter trois millénaires. Le réalisateur étale une avalanche d’effets spéciaux pour un résultat immédiatement daté. L’histoire, bien plate, à cheval entre les mille et une nuits et la vie d’une universitaire un peu rigide dans l’Angleterre actuelle, se veut être un conte de fées moderne enroulé dans un autre conte de fée, cette fois-ci très ancien. Bref, j’aurai mieux fait de dormir plus longtemps ce matin.
Mais oublions toute cette histoire grotesque pour nous concentrer sur le formidable Pamfir de l’Ukrainien Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk. Alors que tout le village se prépare pour le festival annuel, Pamfir, véritable force de la nature, s’engage dans une mission de contrebande pour régler une dette après un accident causé par son fils. Cette nouvelle occupation ne plaît pas à la mafia locale et commence alors une lutte éprouvante au sein de la communauté. On atteint régulièrement des sommets de mise en scène grâce à des cadres d’une grande beauté ainsi qu’à la fluidité des plans-séquences noyés dans la brume épaisse et la boue des chantiers. La légèreté avec laquelle le sujet est traité doit beaucoup à cette famille modeste, unie et aimante, à laquelle on s’attache dès les premières minutes et dont le seul objectif est d’offrir un avenir meilleur à leur ado.
La belle vie, c’est aussi l’objectif que se souhaite l’héroïne pour elle-même dans Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux. Blanche Gardin joue ici le rôle d’une quadra paumée qui part à Lisbonne pour se requinquer après un épisode dépressif et une statut financier proche de la faillite. Elle y rencontre Laurent Laffite, parfait en arrogant débonnaire, dont la nonchalance va apporter à Jeanne un sentiment nouveau de liberté. Le ton est léger sans être dénué de profondeur et intelligemment écrit. L’originalité du film réside également dans ces petites pastilles animées reflétant les voix intérieures du personnage qui la font sans cesse douter, achevant d’apporter un vent de fraîcheur sur la comédie romantique, genre un peu trop balisé dernièrement.
D’une plage à l’autre, je me suis ensuite retrouvé dans un club de vacances d’Istanbul, où l’action d’Aftersun se situe. Dans ce premier film très réussi de Charlotte Wells, un jeune père divorcé et Sophie, sa fille de 11 ans, aussi vive que dégourdie, passent une semaine de vacances durant laquelle ils vont consolider des liens déjà très forts. La jeune réalisatrice est brillamment parvenue à retranscrire ces sensations estivales tellement marquantes à l’adolescence : les moments d’amusement, d’ennui et de langueur qui peuvent se succéder en l’espace d’un après-midi ; les heures à s’asseoir devant le jeu vidéo frustré d’être sans le sou devant Insert Coin. Par petites touches, Wells amorce également un aperçu de la femme que deviendra Sophie, et l’importance que cette semaine avec son père aimant et ouvert aura sur elle.
Cette journée bien dense s’est achevée avec un film qui ne l’est pas moins, R.M.N de Cristian Mungiu. En Transylvanie, un homme retrouve le fils qu’il n’a pas vu depuis son départ à l’étranger il y a de ça à un moment. « R.M.N. » se traduit par IRM en Français, moins pour évoquer l’intervention médicale pratiquée sur un vieillard à la moitié du récit que pour proposer une radiographie plus globale d’une société divisée, symbolisée ici par un village qui tient dur comme fer à une identité aux contours encore un peu flous. Les habitants avaient déjà des raisons de se déchirer, sur les questions de religions, de langues ou de régions notamment, avant que la xénophobie ambiante n’accentue les tensions lorsque des travailleurs Sri-Lankais sont embauchés dans l’usine locale. À partir de ce moment, tout converge vers une perte de contrôle, due à la frustration, aux compromissions et à la haine viscérale de l’autre, venant soi-disant voler les emplois dont personne ne veut pourtant parmi les locaux. Une scène, immense, restera dans les esprits, celle d’une réunion publique tournant au pugilat, tournée en plan fixe et tellement bien interprétée qu’on jurerait qu’elle est issue d’un documentaire de Frederick Wiseman.
Si tant de films traitent de sujets similaires, ce n’est pas un hasard. Dans une époque où l’on ose enfin questionner la masculinité, c’est tout un spectre qui est à revisiter. Après toutes ces (presque) belles découvertes, je m’en vais revisiter mon lit, que je délaisse ces derniers temps comme l’inspiration semble avoir délaissé George Miller.
Crédits Photo : Pamfir © Condor Distribution.