Battle Critique l Les Cinq Diables
Après Egō, la rédaction des Écrans Terribles s’offre un nouveau battle critique autour du film Les Cinq Diables de Léa Mysius, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2022. Et cette semaine, ce sont nos rédacteurs Auguste Calvet et Camille Griner qui s’affrontent sur le ring.
LE PITCH : Vicky (Sally Drame), une petite fille étrange et solitaire, a un don : elle peut sentir et reproduire toutes les odeurs de son choix qu’elle collectionne dans des bocaux étiquetés avec soin. Elle a extrait en secret l’odeur de sa mère, Joanne (Adèle Exarchopoulos), à qui elle voue un amour fou et exclusif. Un jour, Julia (Swala Emati), la sœur de son père, fait irruption dans leur vie. Vicky se lance dans l’élaboration de son odeur et se retrouve transportée dans des souvenirs obscurs et magiques où elle découvre les secrets de son village, de sa famille et de sa propre existence.
POUR
Après le remarqué Ava, dans lequel son héroïne apprend durant l’été qu’elle perdra bientôt la vue, le sens est encore un élément important dans le nouvel opus de Léa Mysius. Dans Les Cinq Diables, ce sont les odeurs qui vont obnubiler Vicky, obsédée notamment par celle de sa mère Joanne (Adèle Exarchopoulos, saisissante comme toujours). Grâce au personnage de Vicky puis de sa tante Julia (Swala Emati), la cinéaste nous confronte à nos propres démons, questionnant la place qu’on occupe dans une société, dans un village ou dans une famille, incarnant ainsi la question de l’invisibilité. La première chose qui saute aux yeux, c’est la photographie de Paul Guilhaume (Les Olympiades), un des chefs opérateurs les plus prometteurs du cinéma français. Le binôme de longue date, qui collabore aussi sur le scénario, réussit à apporter une esthétique froide et dense par le biais de l’utilisation du 35mm, tirant profit avec acuité des noirs profonds qu’apporte la pellicule (sur la scène du karaoké par exemple). Mais le film ne se résume pas à son image puisqu’il nous offre également une histoire haletante entre plusieurs personnages qui ne souhaitent pas se parler. Là où Ava frôlait le fantastique, Les Cinq Diables y plonge entièrement en faisant passer les obsessions de Vicky pour des envies irrationnelles, presque mystiques par moment. Ce nouveau projet révèle aussi une chose merveilleuse : la confirmation d’une cinéaste. En effet, un deuxième film est plus difficile qu’un premier. Surtout quand le premier suscite un intérêt surprise : près de 80 000 entrées pour un film ne réunissant aucune star, une nomination aux César et une sélection à la Semaine de la Critique de Cannes. Léa Mysius a l’intelligence de ne pas faire une continuité d’Ava pour son second film, cherchant même l’opposé (la mer dans le premier devient la montagne) tout en gardant des thèmes qui lui sont chers (les sens, la relation mère/fille fusionnelle…). Léa Mysius prend plus de risques, optant pour une mise en scène esthétisante jouant sur la place qu’occupent les protagonistes mais également l’absence et les silences. Vicky est le seul personnage qui a de l’espace autour d’elle, pour mieux la laisser jouer avec son don. En débutant le film par sa fin, un procédé de montage désuet, le long-métrage déroute malgré tout. Les Cinq Diables n’est pas un film d’enquête, il ne veut pas nous surprendre narrativement. Il nous place sur un volet de l’inévitable comme le confirmera l’histoire entre la mère et la fille. En vérité, rien n’aurait pu se passer différemment. C’est à la fois beau et glaçant, c’est surtout inoubliable.
Auguste Calvet
CONTRE
Bouleversée par le solaire Ava, j’attendais avec impatience le deuxième projet de la prometteuse Léa Mysius. Cinq ans plus tard, me voilà heureuse et confortablement installée en salle, prête à découvrir Les Cinq Diables. Attention, spoiler, mon humeur guillerette sera de courte durée. Le film s’ouvre sur un flashback brûlant et dramatique d’un incendie et sur le regard humide d’Adèle Exarchopoulos dans son justaucorps pailleté. Un plan captivant qui attise instantanément la curiosité du spectateur sur le pourquoi du comment de cette nuit de flammes. Jusqu’ici tout va donc plutôt bien. Pourtant, malgré une photographie froide et intense boostée par le 35mm, une bande originale envoûtante, la prestation habitée d’Adèle Exarchopoulos et le traitement toujours intéressant des thèmes, déjà présents dans son premier film, de la relation mère/fille, des sens (la vue dans Ava et l’odorat ici) et du passage à l’âge adulte, Les Cinq Diables n’a pas le charme de son prédécesseur. Multipliant à foison les axes narratifs, les effets de style, les flashbacks, les genres et les tonalités, tout en parsemant ça et là des références parfois trop appuyées à Shining (1980), Us (2019) ou encore Petite Maman (2021), Léa Mysius semble vouloir complexifier coûte que coûte le récit dans sa forme, par peur de la simplicité, pour être dans l’air du temps et pour en dissimuler les faiblesses. En découle un film étrange et bancal à la tension factice dont les différents éléments de résolution se révèlent constamment insatisfaisants et prévisibles et ce, jusqu’à la séquence finale que l’on voit venir bien en amont. À une période où le cinéma de genre français est en plein renouveau et pullule de pépites, le filandreux et oubliable Les Cinq Diables est de ceux qui m’ont laissé largement sur le bas-côté.
Camille Griner
Réalisé par Léa Mysius. Avec Adèle Exarchopoulos, Sally Drame, Swala Emati, Daphné Patakia… France. 01h35. Genres : Comédie dramatique. Distributeur : Le Pacte. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2022. Sortie le 31 Août 2022.
Crédits Photo : © F Comme Film – Trois Brigands Productions.