Semaine de la Critique 2023 : Morceaux choisis
Restée à Paris, notre rédactrice Camille Griner a ceci dit pu visionner deux longs métrages et un court en compétition dans la sélection de la 62ème Semaine de la Critique : Tiger Stripes, auréolé du Grand Prix, Il Pleut dans la Maison, reparti avec le Prix French Touch, ainsi que l’étonnant Stranger. Retour sur ces trois projets hétéroclites découverts en amont du Festival de Cannes cru 2023.
Tiger Stripes (Malaisie, Taïwan, Singapour, France, Allemagne, Pays-Bas, Indonésie, Qatar I 01h34 I 2023)
Le premier long métrage d’Amanda Nell Eu laisse difficilement de marbre. En relatant le passage à l’âge adulte mouvementé d’une préado de douze ans dans une commune rurale de Malaisie, la réalisatrice laisse poindre toute l’étendue de son originalité et de sa fougue. Zaffan (Zafreen Zairizal), l’héroïne de cette histoire mêlant les genres du coming of age, du fantastique et du body horror, voit rapidement son corps se transformer et révèle finalement sa vraie nature, sa fureur et sa beauté aux yeux de tous, et notamment de ses copines qui lui ont récemment tourné le dos. On pense souvent à Junior (2011) de Julia Ducournau. Dans les thématiques abordées d’abord, notamment celle de la transformation du corps à l’adolescence, mais aussi dans la mise en scène et la place importante accordée au corps et à la peau de la jeune fille à l’image. À petit budget, petits effets spéciaux, la mutation de Zaffan passe donc par des trucages, parfois cheaps, qui n’enlèvent pourtant en rien l’énergie et la poésie de ce mystérieux conte adolescent qui, malgré un final à rallonge qu’on aurait aimé plus impactant, fascine et laisse curieux quant aux futurs projets d’Amanda Nell Eu.
Il Pleut dans la Maison (Belgique, France I 01h15 I 2023)
Lors d’un été caniculaire, Purdey (Purdey Lombet), dix-sept ans, et son frère Makenzy (Makenzy Lombet), quinze ans, se retrouvent livrés à eux-mêmes et tentent de se débrouiller seuls sans leur mère démissionnaire et inconstante, ni leur père aux abonnés absents. Tandis que Purdey fait des ménages dans un complexe hôtelier pour gagner trois sous et espérer les sortir tous deux de la maison en ruines héritée de leur grand-mère, Makenzy se fait quant à lui un peu d’argent en volant des touristes et lutte tant bien que mal contre son hypersensibilité. Pour son premier saut dans la fiction après deux documentaires, Paloma Sermon-Daï dresse le portrait attachant et intimiste d’une fratrie dont les élans d’espoir et de liberté se heurtent à son assignation sociale. Le récit, ancré dans le réel, et la pudeur sans faux-semblants de la mise en scène solaire permet à la réalisatrice de laisser éclore le naturel et l’aura saisissants de ses deux jeunes comédiens, frère et sœur à l’écran comme dans la vie. Un joli projet qui capture avec sensibilité la complicité et le lien inconditionnel d’une fratrie et dont le final, s’il n’est pas un happy ending, laisse pourtant planer la perspective d’un avenir meilleur pour ces deux adolescents courageux.
Stranger (France I 18 minutes I 2023)
Déroutant projet que ce Stranger, hybride musical ultra stylisé entre la fable et le clip. Ce film de dix-huit minutes, présenté en séance spéciale dans la sélection courts-métrages à la Semaine de la Critique, est l’étonnant cocktail des univers de la réalisatrice Iris Chassaigne et de la comédienne Jehnny Beth, également chanteuse et dont un album du même titre était prévu pour l’automne 2022. Stranger relate le retour à la vie de A (Agathe Rousselle), dont les émotions ont disparu il y a 548 jours. Absente de sa propre existence, elle croise une nuit la route de J (Jehnny Beth) qui l’entraîne avec elle, cherchant par tous les moyens à relancer son cœur à coups de chansons, de danse mais aussi de poing, entre autres moyens. Original sur son fond, Stranger embarque également par son travail sonore enveloppant et ses deux comédiennes hypnotiques. Le retour à la vie est aussi déroutant qu’enivrant, et l’on se surprend à réfléchir encore à cet OVNI clipesque longtemps après son visionnage.
Crédits Photo : Affiche de la 62ème édition de la Semaine de la Critique © D. R.