Women Talking : Paroles Sacrées
Après Stories We Tell (2012) et Alias Grace (2013), la comédienne Sarah Polley renfile sa casquette de réalisatrice aux commandes de Women Talking, manifeste percutant contre le patriarcat, qui prend place au cœur d’une communauté religieuse aux États-Unis.
Women Talking est adapté du roman éponyme de l’auteure canadienne Miriam Toews, issue d’une communauté mennonite. Cet ouvrage glaçant s’inspire de faits réels survenus en Bolivie entre 2005 et 2009, où huit hommes de confession mennonite ont violé régulièrement plus de 150 de leurs consœurs âgées de 3 à 65 ans, après les avoir préalablement drogué avec un anesthésiant pour bestiaux pendant leur sommeil. Les victimes se réveillaient dans un état comateux sans aucun souvenir de la nuit, le corps meurtri, souvent couvert de sang et de bleus, et enceintes pour certaines d’entre elles. En 2009, ces hommes sont surpris durant ces viols, arrêtés, puis condamnés à la prison en 2011. Avant cette découverte, les agressions étaient attribuées à un fantôme ou un démon.
Le film prend place suite à ce constat traumatisant, tandis que le procès et les condamnations n’ont pas encore été actés, et sans jamais réduire son propos aux seuls carcans religieux. Plusieurs femmes de la communauté décident en effet de se regrouper secrètement dans une grange suite à un référendum improvisé, dans le but de trouver une solution pour sortir de cet engrenage nocif. Trois options sont explorées par l’assemblée : partir, rester et se battre, ou rester et ne rien faire. La troisième possibilité est écartée d’emblée par la majorité, mais les deux autres suscitent le refus catégorique de l’une des anciennes de la communauté, Scarface Janz (Frances McDormand, dont l’apparition est aussi brève qu’intense) qui préfère quitter le débat avec ses filles. S’engage alors une délibération mouvementée, qui doit pourtant être efficace et rapide, puisque les agresseurs libérés sous caution doivent être de retour d’ici les prochaines quarante-huit heures.
Women Talking prend vite les allures d’un quasi huis clos psychologique, puisque seuls quelques flashbacks champêtres, où l’insouciance était encore intacte, nous sortent du grenier à foin. Les personnalités, les affinités mais aussi les rivalités entre chacune des protagonistes se retrouvent alors exposés au grand jour sous l’œil attentif d’August (Ben Whishaw), l’instituteur des jeunes garçons de la communauté religieuse. Seul personnage masculin important du film, il est chargé de rédiger le procès-verbal de ces discussions, les femmes mennonites, illettrées, étant désireuses de laisser une trace de cette réunion pour celles qui les succèderont. Au fil des conversations, Women Talking gagne en ampleur et laisse éclore toute l’importance de son propos : celui d’un manifeste crucial contre le patriarcat, la culture du viol et son impunité. Par sa mise en scène froide et bleutée, aux pourtours aussi folkloriques que théâtraux, Sarah Polley distille habilement la violence des monologues inspirants et inspirés de ces personnages féminins interprétés par un casting cinq étoiles et permet au film, moins bavard qu’il n’y paraît, d’atteindre une forme d’intemporalité tout en réussissant à éviter le manichéisme. Woman Talking est aussi une ode au langage, dans laquelle on ne se lasse jamais d’écouter ces femmes, tiraillées entre leur foi, leur pardon et surtout la volonté de (sur)vivre coûte que coûte, portées par l’espoir d’un nouvel ordre social dans lequel elles seront libres d’exister, d’être maîtresses de leur corps, de leurs désirs, de leurs choix et de faire entendre leur voix.
Réalisé par Sarah Polley. Avec Rooney Mara, Claire Foy, Jessie Buckley… États-Unis. 01h45. Genre : Drame. Distributeur : Universal Pictures International France. Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement. Sortie le 8 Mars 2023.
Crédits Photo : © 2022 Orion Releasing LLC. All Rights Reserved.