Les Rascals : Gangs of Paris
Après Soldat Noir (2021), en compétition pour le César du Meilleur court-métrage en 2022, Jimmy Laporal-Tresor continue de questionner le regard porté par la société sur la jeunesse issue de parents immigrés. Avec son premier long métrage Les Rascals, le réalisateur livre une chronique ambitieuse et militante sur les jeunes français des eighties face à la montée de l’extrême droite.
Paris, 1984, premier mandat de François Mitterrand. Pour le crew des Rascals, des jeunes qui vivent de l’autre côté du périph’, la capitale française est le fief de la fête et de la drague. Pour Frédérique (Angelina Woreth), étudiante débarquée de Province, Paris est synonyme d’indépendance et de réussite. Tandis que la ville voit émerger un nouveau type de skinheads très organisés et ultra-violents, les « Boneheads », Frédérique et les Rascals se retrouvent pris dans une spirale infernale emplie de vengeance, signant la fin de leur innocence. Dès les premières images, on pense beaucoup à West Side Story (1961) et Grease (1978). Costumes impeccables, couleurs vives, décors dans leur jus, gangs à gogo, bande son ondulante… Les Rascals nous offre une reconstitution aussi punchy que réaliste des eighties. Mais l’atmosphère teenage movie du film se voit très vite entachée par la montée de l’extrême droite et l’escalade de la violence dans laquelle nos différents protagonistes vont se retrouver embarqués. Axé sur deux points de vue, le récit nous offre un contrepoint puissant par le biais de son duo de protagonistes central : Rudy (Jonathan Feltre) d’un côté, membre des Rascals d’origine martiniquaise, tiraillé entre rester avec ses potes, malgré la large remise en question de leurs actes violents, ou faire son service militaire pour trouver un emploi et subvenir aux besoins de sa famille. De l’autre, Frédérique, qui rejoint un groupuscule identitaire par revanche suite au lynchage de son grand frère, skin repenti, par les Rascals.
Les Rascals peut donner parfois l’impression de stagner dans le cercle vicieux classique de la vengeance allant sans cesse crescendo. Certains dialogues sont par ailleurs un peu trop écrits et stéréotypés, et la direction d’acteurs pèche malheureusement par endroit. Le film est pourtant de ceux dont les défauts n’enrayent pas le fond du projet. Car à travers la représentation de deux jeunesses : celle issue de l’immigration avec son sentiment profond de marginalisation et aux perspectives futures peu reluisantes, et celle instrumentalisée par les groupuscules fascistes qui carbure à la haine, Les Rascals parvient à éviter la démagogie et l’éternelle opposition entre les gentils et les méchants. Jimmy Laporal-Tresor, en dressant le portrait d’une jeunesse des années 1980, réussit également à nous questionner sur le présent par le biais du passé. Le constat est des plus amers, et l’évolution du contexte social et politique dans l’Hexagone nous est brutalement balancée au visage : un climat encore tendu où les mentalités peinent toujours à comprendre les enjeux des conflits concernant l’immigration et l’aura des extrêmes politiques, et où les schémas sociétaux se reproduisent constamment. Le fléau reste finalement toujours la communication des pouvoirs en place qui montrent ce qu’ils veulent bien montrer au peuple en n’hésitant pas à modifier les faits et mettre le feu aux poudres. Tandis que les eighties ont sonné la fin d’une ère d’émancipation pour de nombreux jeunes, Les Rascals nous permet de constater que la mentalité de notre pays a depuis peiné à évoluer sur ces différents sujets.
Réalisé par Jimmy Laporal-Tresor. Avec Jonathan Feltre, Missoum Slimani, Jonathan Eap… France. 01h55. Genre : Drame. Distributeur : The Jokers / Les Bookmakers. Sortie le 11 Janvier 2023.
Crédits Photo : © Lea Renner.