Annie Quasi Colère, celle qui a mal choisi son nom
Partout dans le monde, le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) n’a jamais été si fragilisé. Alors qu’il est violemment bafoué par la Cour Suprême étasunienne et tout juste inscrit dans la Constitution française par l’Assemblée nationale, le film Annie Colère résonne comme un nouveau lanceur d’alerte nous rappelant de ne jamais tomber dans le silence et l’oubli de ces femmes qui ont sacrifié.e.s leur vies pour la lutte. Mais malgré la pertinence de son propos et la force de résurrection de ses images, le film peine vraiment à trouver son souffle.
Février 1974, la loi Veil (17 janvier 1975) n’est toujours pas promulguée et la lutte pour la liberté des femmes à disposer de leur corps n’a jamais été aussi forte. Annie (Laure Calamy), ouvrière et mère de deux enfants, tombe accidentellement enceinte et décide d’avorter. Elle rencontre alors le MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception), un mouvement de désobéissance civile qui pratique des avortements illégaux ouvertement dans le but de légaliser l’IVG en France. Ses membres lui viennent en aide et la convainquent de rejoindre la lutte avec eux. Ainsi commence une nouvelle vie pour Annie qui, jusqu’alors soumise au rôle de femme, mère et de maitresse de maison, brise enfin les chaînes du silence et de l’autorité qui lui étaient imposées pour libérer sa voix et faire entendre sa colère. En parallèle à cette bataille nationale pour la liberté sexuelle et l’intégrité physique et morale, se joue donc une bataille plus personnelle d’une femme qui se réapproprie son corps, ses choix, sa personne tout entière et donc sa vie.
De nouveau mue par la volonté de présenter des personnages féminins complexes à l’écran (Cf. Aurore, Zouzou etc.), Blandine Lenoir s’écarte cette fois de la fiction pour s’ancrer dans un arrière-plan historique porteur d’un discours beaucoup plus politique. Proposant un point de vue alternatif au récit historique national, le personnage d’Annie, parfaitement porté par Laure Calamy, représente cette voix des luttes subalternes qui a pendant trop longtemps été silencées malgré leur rôle décisif dans l’instauration de loi Veil en France. Le cinéma, en effet, ne manque pas de biopic sur Simone Veil. Et son combat historique riche reste primordial, certes, mais son traitement hégémonique en vient à camoufler les histoires dites “annexes” qui constituent elles aussi une part cruciale dans la lutte française.
Ainsi, Blandine Lenoir arrive à nous offrir une nouvelle histoire. Elle met en lumière des récits jusqu’alors tapis dans l’ombre en reconstruisant les images manquantes de ces femmes et hommes et de leurs actions militantes réalisées pendant plus de 18 mois au sein du MLAC. Ce pari historique, voire pédagogique, est sûrement le mieux tenu du film, entremêlé par des archives de médias, une interview de Delphine Seyrig, des unes des journaux affichés dans les bureaux du MLAC, ainsi que de nombreuses scènes d’avortement (six au total). Annie Colère vient nous sortir de nos ignorances et idées reçues sur la réalité des avortement clandestins dans la France du 20ème siècle. Sans crainte des plans longs et soutenus Blandine Lenoir refaçonne une nouvelle image de l’avortement, des attentes qu’il sous-tend et de la diversité des parcours. Ces séquences, aux images lumineuses et à la chaleur inattendue, viennent briser les perceptions mortifères, tragiques voir lugubres que le cinéma, et autres idéologies, ont pu cultiver en nous. Moment de douceur et de sororité, où les femmes se soutiennent, se chantent des chansons, s’écoutent etc. ces séquences du films ne sont pas, comme ressenti au premier abord, une représentation purement manichéenne ou complaisante, mais bien un parti pris de dévoiler cette réalité trop souvent dissimulée où des avortements ne sont pas forcement des drames mais des soulagements, qui peuvent être douloureux tout en étant heureux.
Au-delà de ces scènes qui constituent le seul noyau solide sur lequel le film peut vraiment se reposer, d’autres questions sont soulevées telle que la réappropriation du corps des femmes par un apprentissage libérée de la sexualité (Annie offrant un miroir à sa fille pour qu’elle puisse s’observer et comprendre par elle-même) ainsi que les violences symboliques subies de la part des médecins (ici chez le gynécologue) qui oublient souvent, dans leur paternalisme, que derrière ce corps se cache une personne. Ne remettant pas en question la médicalisation de l’avortement, Blandine Lenoir semble chuchoter des observations bien situées sur cette perte de bienveillance et d’humanité liée au monopole du savoir par l’hôpital avec ses pratiques stigmatisantes. Mais voilà bien le problème du film, tout n’est que chuchotement, mais jamais parole, les problématiques n’étant en réalité que des esquisses.
En redonnant leur place à ces luttes oubliées, le film semble être opportun pour renverser le rapport de force imposé par le récit historique. Cependant, malgré toutes ses bonnes volontés, le discours politique porté par Annie manque souvent de résonance et échoue à nous transmettre sa colère. Malgré ces nombreuses images, l’activisme et les revendications des militant.e.s du MLAC ne sont le plus souvent abordés qu’en superficialité : face aux questionnements de son mari qui se languit d’avoir sa femme à la maison, ou aux critiques d’autres hommes sur son activisme, Annie est et reste colère mais ne rue jamais dans les brancards. On reste un peu sur notre faim avec un film convenu, porteur de belles images, d’une histoire attachante et un fond (légèrement) politique mais sans jamais aller au-delà. Superficiel, il se cantonne à une sorte de schéma redondant déjà-vu sans surprise, aucune. Or, dans ce contexte où de plus en plus de discours remettent en question la place des femmes, de leur liberté et de leur droit, il semble essentiel, voire nécessaire, de pouvoir offrir un contre discours construit, aux idéaux clairement énoncés, et non une simple peinture avec des méchant.e.s et des gentil.l.e.s.
Réalisé par Blandine Lenoir. Avec Laure Calamy, Zita Hanrot, India Hair… France. 02h00. Genre : Comédie dramatique. Distributeur : Diaphana Distribution. Sortie le 30 Novembre 2022.
Crédits Photo : © Aurora Films/Local Films.