Cow : La Tragédie bovine
Après son quatrième long métrage American Honey (2016) et la réalisation de la deuxième saison de Big Little Lies (2019), Andrea Arnold revient dans les salles obscures avec Cow, documentaire champêtre aux limites de l’expérimental qui dresse le portrait intimiste et terrifiant d’une vache laitière.
Présenté en séance spéciale au Festival de Cannes en 2021, Cow a sur le papier l’étoffe d’un « petit » projet dans la filmographie d’Andrea Arnold, jusqu’ici plutôt adepte du coming of age (Fish Tank, Les Hauts de Hurlevent, American Honey). Inattendu et singulier, ce premier saut dans le genre du documentaire, sur fond de vaches et de (re)connexion avec la nature, a ceci dit tout pour attiser la curiosité quand on est, comme moi, une férue du travail de la réalisatrice britannique. Le film s’ouvre donc sur sa protagoniste principale, une vache laitière baptisée Luma, capturée en plan serré tandis qu’elle est en train de mettre bas, accompagnée sans douceur par deux fermiers. À peine a-t-elle le temps de faire la connaissance de son petit qu’elle en est séparée brutalement, puis conduite aux machines à traire pour satisfaire les besoins agro-alimentaires de l’espèce humaine. Luma n’a dès lors plus que ses meuglements plaintifs pour faire entendre sa tristesse. Dans toute sa première partie, Cow dresse en montage parallèle le quotidien morne de ces deux vaches séparées trop tôt et dont l’isolement fend le cœur. Figures tragiques au destin peu enviable, Luma et ses congénères bovines ne tardent pas à provoquer l’empathie dans un monde régi par des hommes intrusifs, autoritaires et brutaux, qui passent leur temps à nourrir, séparer, ordonner et engrosser leur élevage bovin. C’est dans la façon nerveuse et rapprochée qu’à la caméra de se mouvoir dans l’enfer de cette exploitation animale que l’on retrouve toute l’habileté scénique et scénaristique d’Andrea Arnold. En se plaçant du point de vue d’une vache, la réalisatrice livre un documentaire terrible qui déconstruit le mythe du regard bovin dénué d’émotion et l’idée reçue selon laquelle une vache produit du lait en continu sans effort et sans peine.
Et si le film s’abstient de toute critique frontale sur l’industrie laitière, les regards caméra de Luma comme ses coups donnés à l’objectif sont d’autant d’éléments qui en disent long, et nous rendent témoins de cette existence indigne et cruelle. Le quotidien de ces vaches devient un récit puissant à la grâce âpre. En effet, Cow s’autorise quelques instants de douceur et de poésie au détour d’une séquence captant un signe d’affection entre une vache et son petit, d’un moment d’apparente tendresse entre un taureau et une femelle avant la saillie, ou encore dans le bonheur et la libération que l’on semble capter lorsque le troupeau impatient se rue dans les pâturages une fois le printemps venu. Des petites bouffées d’oxygène dans la narration d’Arnold, bien vite rattrapées par la sombre réalité de la ferme, notamment dans son final glaçant qui conclut le documentaire par un ascenseur émotionnel brutal. Force est d’avouer qu’Andrea Arnold livre une nouvelle fois un projet ambitieux et éloquent, un manifeste poignant sur la condition animale qui ne manquera pas de relancer les débats comme de diviser en salles.
Réalisé par Andrea Arnold. Grande-Bretagne. 01h34. Genre : Documentaire. Distributeur : Ad Vitam. Présenté en Séance Spéciale sous le label Cannes Première au Festival de Cannes 2021. Sortie le 30 Novembre 2022.
Crédits Photo : © Ad Vitam.