Bones & All : Call Me With Your Blood
Cinq ans après avoir filmé la douceur dans Call Me By Your Name puis l’horreur dans son remake de Suspiria en 2018, Luca Guadagnino revient avec Bones & All, curieux mélange des deux. Un film ambitieux qui demeure pourtant trop classique.
« Qu’y a t’il de pire ? Vivre en monstre ou mourir en homme de bien ? ». Cette citation qui clôture Shutter Island (Martin Scorsese, 2010) peut résumer tout le propos du onzième film de Guadagnino. Maren (Taylor Russell, incroyable révélation du film) n’est qu’une jeune adolescente introvertie quand elle est invitée à faire le mur pour rejoindre des copines du lycée. Alors que ses pulsions vont poser problème, Maren va se retrouver livrée à elle-même et sillonner l’Amérique. Les doutes sur son passé vont être chamboulés lorsqu’elle croise la route de Lee (Timothée Chalamet), un garçon en qui elle se retrouve…
La surprise est donc totale lorsqu’on découvre cette même lycéenne timide cachée sous une table, arracher bestialement le doigt de sa camarade et le mâcher à pleines dents. C’est sans doute l’idée première du réalisateur italien : l’habit ne fait pas le monstre et c’est plutôt malin. Derrière l’image magnifique, signée par le jeune chef-opérateur Arseni Khachaturan, on ne peut qu’admirer la performance ultra convaincante de Taylor Russell. Son personnage, une jeune femme aux pulsions érotico-cannibales, dévoile ensuite davantage de subtilités intéressantes notamment sur son passé (la mise-en-scène l’appuie par le jeu avec les différentes scènes de “photos”) et, de fait, sur son avenir. Luca Guadagnino associe de l’intime et du sensible avec l’aspect gore du film pour filmer héroïquement ce couple (notamment par les contres-plongées), ce qui évite l’aspect déjà-vu du premier amour façon teen movies, déjà filmé de nombreuses fois au cinéma, et notamment par le cinéaste lui-même. Sa mise en scène se distingue surtout par les effets de voix-off et de cauchemars qui rappellent les grandes heures du giallo (genre qui doit sa renommée à des films comme le Suspiria de Dario Argento) ou plus récemment à Get Out de Jordan Peele, auquel le film fait un (volontaire ?) clin d’œil.
Pourtant, une fois la surprise digérée, on reste sur notre faim. La temporalité s’allonge, la faute à un rythme très changeant, notamment dans une (très) longue première séquence de fondus-enchaînés. Cette absence d’harmonie déçoit, surtout quand elle laisse présager une magnifique conclusion : une photo qui tombe à l’entrée d’une forêt, le générique de fin s’enclenche et des questions nous auraient alors hanté. Mais Bones & All persiste et s’embourbe dans des résolutions, sans idée ni malice. À côté de Taylor Russell, dont on ne cessera de louer le talent, Timothée Chalamet a bien du mal à exister sinon cabotine, forçant sa danse, ses mimiques ou ses gestes. Il n’est pas aidé dans une scène sur-écrite qu’on suspecte conçue pour lui ouvrir la porte d’une nomination à l’Oscar du meilleur acteur (vous n’aurez pas de mal à la reconnaître), plombée par un thème musical peu inspiré pourtant signé Trent Reznor et Atticus Ross. Malgré des dialogues post-repas, métaphore d’une première fois sexuelle, assez savoureux, cela ne fait pas oublier la construction simpliste du récit et son climax prévisible.
Bones & All se conclut tout de même sur un ultime plan doux, mystérieux et surtout somptueux : aussi somptueux que le film ne l’était plus depuis un moment. De cette aventure étasunienne, du Kentucky à l’Ohio en passant par l’Indiana, on retiendra une vision de l’amour dans un monde parsemé d’horreur. La douceur en prémisse de la catharsis ou encore l’espoir qui, à défaut parfois de gagner, ne cessera jamais d’exister.
Réalisé par Luca Guadagnino. Avec Timothée Chalamet, Taylor Russell, Mark Rylance… Italie, Etats-Unis. 02h10. Genres : Drame, Epouvante-horreur, Romance. Interdit aux moins de 16 ans. Distributeur : Warner Bros. France. Lion d’Argent du Meilleur Réalisateur et Prix Marcello Mastroianni du Meilleur Jeune Espoir à la Mostra de Venise 2022. Sortie le 23 Novembre 2022.
Crédits Photo : © Yannis Drakoulidis / Metro Goldwyn Mayer Pictures.