Novembre : Jimenez pas large
« Le procès, en cours d’instruction, se tiendra en juillet 2022 ». C’est par ce carton que le film relatant la traque des cerveaux des attentats du 13 novembre 2015 se clôture (film vu en juin, avant la fin des auditions, ndlr). À peine le jugement prononcé et voilà qu’un film sort sur nos écrans. Était-ce trop tôt pour parler d’un tel sujet ?
Crevons l’abcès tout de suite : le film ne parle quasiment pas de cette nuit noire parisienne qui a provoqué 130 morts et plus de 400 blessés. Les chefs de la brigade anti-terroriste de Paris, Fred (Jean Dujardin) et Héloïse (Sandrine Kiberlain), l’apprennent en étant éloignés physiquement des événements. Ce choix-là n’est pas si anodin puisque c’est la place qu’occupait la majeure partie des Français, à se demander ce qu’il se passe, sans avoir la possibilité ni de bouger ni d’avoir des images à quelques minutes de la première explosion. Cela constitue à la fois la force et la faiblesse du projet : prendre de la distance en n’ayant cependant pas assez de recul pour construire un véritable point de vue.
Le principal problème du film est qu’il ne veut rien penser. C’est dramatique, puisque comme pour son précédent film Bac Nord, Novembre ne suit qu’une seule façon de faire. En d’autres termes, rien n’est grave puisque cela s’est passé comme ça. Pourtant historiquement, rien n’est contestable, mais tout est constamment discutable. Comme de mettre la fuite du commanditaire sur le dos d’une coïncidence et non d’une faute lourde ( Salah Abdeslam était fiché S avant les attentats et donc surveillé) ou encore mettre en scène la mort d’Abdelhamid Abaaoud le 18 novembre 2015 comme une séquence de blockbuster américain sous amphétamines de façon grossière. Ce fait a en réalité été vécu comme un véritable raté de la police (pour rappel, ils n’ont pas réussi à ouvrir la porte de l’appartement). La mise en scène décide de prendre cela totalement à contrepied en terminant en apothéose, ajoutant même une dimension héroïque à Fred, presque filmé comme un héros de guerre oublié de l’histoire française.
Certes, c’est une fiction, elle n’a donc pas l’obligation de raconter purement la réalité. Seulement, le film se veut être une reconstitution factuelle des événements. Choisissant par exemple, d’afficher sur un tableau en liège (on est un film d’enquête ou on ne l’est pas) au milieu des comédiens interprétant les différents djihadistes soupçonnés, la photo du véritable Salah Abdeslam. En jouant un rôle, un acteur crée automatiquement de la distance avec son sujet donc en ramenant la personne ayant réellement commis ces atrocités, on crée une distorsion étrange entre le cinéma et le réel. D’autant que si c’est le vrai Salah Abdeslam qu’ils cherchent, pourquoi tout ce que le film nous raconte à côté serait inexacte ?
Néanmoins, Cédric Jimenez possède un talent incommensurable, celui de savoir mettre en scène la tension. Si elle demeure classique (une caméra à l’épaule et tremblotante, au plus proche des sujets qu’il filme), elle n’en reste pas moins efficace. Ici, et contrairement à ses précédents films, il réalise le tour de force d’arriver à garder cet état pendant toute la durée du long-métrage. Le plus grand pari autour du film était d’arriver à faire un pur produit d’action, de tension et d’enquête, sans ramener au véritable drame qui a secoué la France. Sur ce point, c’est raté.
Au service d’un film découpé lourdement en chapitres diurnes (le titre Novembre occupe tout l’espace pendant quelques secondes avant d’être rejoint par le numéro du jour), Cédric Jimenez n’arrive pas à apporter une seule émotion hormis celle que l’on se fabrique nous-mêmes. Nous ne sommes pas touchés par la grammaire qu’il construit à l’écran mais bien par nos propres souvenirs liés à cette soirée-là. Quand il filme des témoignages de blessés à l’hôpital ou des bougies devant le restaurant Le Petit Carillon, c’est le souvenir qui nous touche et non le film. Heureusement que l’on y découvre des partitions de jeux magistrales de la part de Jérémie Renier, Lyna Khoudri et surtout d’Anaïs Demoustier pour nous faire oublier les propositions lourdingues et bourrines de Jean Dujardin et Sandrine Kiberlain, au firmament dans une scène ridicule de dispute post-interrogatoire.
Dans la lignée de Zero Dark Thirty, Novembre a pour lui de ne pas représenter le calvaire des attentats de façon larmoyante, comme les deux autres films sortis sur le même sujet en cette rentrée (Revoir Paris, même si ce sont des attentats fictifs qui sont décrits et Vous n’aurez pas ma haine, adapté du livre d’Antoine Leiris). Le réalisateur pousse au maximum sa volonté de coller à un certain cinéma du réel, lui qui n’a mis en scène que des histoires inspirées de faits réels (hormis Aux Yeux de Tous, son premier long-métrage). Film d’enquête jusque dans ses clichés (les oiseaux qui s’envolent laissant présager une catastrophe de même que les téléphones qui sonnent tous en même temps), Novembre ne réussit que dans son efficace tension, quitte à en évincer l’émotion. À l’instar de films décrivant trop prématurément le 11 septembre 2001 (World Trade Center d’Oliver Stone en 2006, décrié à sa sortie), le film de Jimenez ne bénéficie pas du recul nécessaire pour mener à bien ses personnages et son histoire de traque nationale. On fait alors comme lui : retenir quelques moments et occulter tout le reste.
Réalisé par Cédric Jimenez. Avec Jean Dujardin, Anaïs Demoustier, Sandrine Kiberlain… France. 01h40. Genres : Thriller, Policier. Distributeur : StudioCanal. Sortie le 5 Octobre 2022.
Crédits Photo : © 2021 RECIFILMS – CHI-FOU-MI PRODUCTIONS – STUDIOCANAL – FRANCE 2 CINEMA – UMEDIA.