Paris Shark Fest #1 : À vos marques, prêts, sharkez !
Cette année, ce n’est pas notre rédactrice en chef Camille qui plonge dans l’océan de la sharksploitation que propose le Paris Shark Fest, mais un curieux novice, moi-même, impatient de nager parmi les requins. Au Club Étoile, à deux pas des Champs-Élysées, se cache en effet une niche d’aficionados d’ailerons et de dents acérées qui m’accueillent chaleureusement. Je m’y sens comme un poisson dans l’eau. Pour lancer les hostilités, l’intrépide présentateur monte sur scène accompagné d’une playlist musicale concoctée spécialement pour l’occasion où l’on retrouve par exemple la célèbre contrebasse immortalisée par John Williams. Prometteur.
C’est bien beau tout ça, mais je suis là pour voir des requins. Je ne vais pas être déçu puisque l’ouverture se fait sur une série de courts-métrages, plus ou moins inspirés. A peine animé, Smiles assemble des scénettes en mockumentary dont l’humour repose sur des analogies entre conflits animaliers et racisme bien humain. Trop statique, le film d’animation parvient pourtant à être mordant. Dans un autre style, Sharkasaurus emprunte au désuet des films d’exploitation avec un mélange de requin et de western. Dans une petite ville perdue au milieu du désert, une mine est soudainement prise d’assaut par un requin vélociraptor affamé qui compte bien tout dévorer sur son passage. C’était sans compter sur une bande de joueurs de poker prêts à littéralement dynamiter le monstre. Avec ses musiques originales grattées sur une guitare sèche par un des protagonistes et son héroïne badass, le film semble tout droit sorti d’un Grindhouse hanté par l’ombre de Robert Rodriguez. C’est d’ailleurs au moins aussi goofy que les films du réalisateur mexicain.
En tous les cas, ça reste plus intense que la première incursion made in Mexique : Jaws VS Kraken. Comme c’est souvent le cas, pour les reportages diffusés sur la chaîne de télévision Discovery, le titre est plus imagé que le film. Aux alentours de l’île de Guadeloupe, un requin blanc est égratigné par de mystérieuses marques pouvant provenir d’un calamar. Des spécialistes enquêtent et se risquent à une reconstitution enregistrée de combat entre les deux « titans ». Mais si filmer un requin blanc vous semble difficile, sachez qu’un calamar, c’est pire. Les images sont rares et brumeuses, au point que le céphalopode reste une Arlésienne mystique. Pour combler le manque d’images et répondre aux logiques de production télévisuelles, les scènes sont expliquées trois fois. On se satisfait tout de même de savoir que les calamars et les requins s’affrontent dans les eaux profondes. Je me demande d’ailleurs comment s’en sortirait Jason Statham face à un calamar…
Au Paris Shark Fest, on est fascinés par le prédateur mais aussi par l’animal. Un des invités pour cette édition, le réalisateur du documentaire militant contre les filets à requins meurtriers installés dans les eaux australiennes Envoy Shark Cull, Andre Borell, est venu partager son expérience autour d’une conférence. Chroniqué l’année dernière par Camille, le documentaire montre la cruauté des pièges installés par le gouvernement à l’aide d’images choc. Borell revient spécialement pour cette édition afin de discuter de son expérience dans un échange passionnant entre éthique et fascination. Le cinéaste confesse à demi-mot des sauvetages de requin effectués pendant le tournage du documentaire, et ce en dépit de la loi australienne qui condamne la libération d’un squale à une amende plus salée que l’océan. Mais il partage aussi son avis mesuré sur l’écotourisme, autant capable de bouleverser le rapport de force avec les politiciens que l’écosystème. Il rappelle cependant que mobiliser les politiques reste le meilleur moyen de faire bouger les choses, même en tant que touriste étranger.
A l’instar de la sélection des courts-métrages, le reste de la programmation a donc l’ambition d’exposer l’ambivalence de notre ressentiment face aux squales qui sont à la fois un monstre aquatique mystérieux « en haut de la chaîne alimentaire » et une espèce en voie de disparition. Les requins du mini-documentaire de Clayton Conn, Tiger (Shark) King, exposent ainsi leurs côtés les plus tendres. Le protagoniste du film Jim Abernethy n’a pas grand chose à voir avec Joe Exotic, l’excentrique personnage de la série documentaire Netflix du même nom Tiger King, qui avait fait beaucoup parler d’elle à l’été 2020. A la différence de Joe qui exploite ces bêtes à l’usure pour des raisons pécuniaires, Clayton, didactique, prône un amour profond des requins par la connaissance. Il côtoie trois espèces femelles au quotidien au point d’interpréter certaines réactions comme des gestes d’affections. Idéaliste un poil anthropomorphiste, il reste néanmoins lucide sur la dangerosité potentielle de ces prédatrices qui « comme des chiens, utilisent leurs bouchent pour jouer. Cela peut s’avérer fatal ». C’est noté, on évitera de jouer à « attrape la balle » avec eux.
Alexandre Soullier est probablement de notre avis. Le producteur derrière le making-of Requins : Les coulisses de l’aventure, présenté en séance d’ouverture du festival, partage volontiers cette observation sur la dangerosité de ces émouvantes créatures qui restent des chasseurs de plusieurs tonnes. Il s’efforce pourtant lui aussi, avec la réalisatrice Pauline Lietar et quelques biologistes du coin, de les étudier pour mieux les protéger. Le film dévoile les coulisses d’une production animalière, diffusée sur France 2 cet automne, qui suit trois requins femelles au Nord du Mexique grâce à des caméras de traçage indolores plantées dans leurs ailerons. L’équipe du tournage travaille main dans la main avec des scientifiques en essayant de gêner le moins possible l’écosystème. Les spécialistes locaux ont en effet des contraintes budgétaires fortes et tolèrent l’écotourisme dont les fonds permettent d’entretenir leurs recherches. L’opération reste délicate et les protagonistes eux-mêmes n’oublient pas que leur présence modifie le comportement de la faune sous-marine. Un documentaire important qui nous montre les dessous d’un film dont le titre, lui, reste pour l’instant malheureusement enfoui sous l’océan.
Après une première journée de plongée synthétique dans les eaux du festival, on est à la fois fascinés, attendris et impatients de découvrir ce que la sélection nous réserve. Et forcément, il reste la colère de l’exploitation animale notamment via le trafic d’ailerons évoqué au détour d’un plan dans le court-métrage Manō. En espérant au fond que ces morceaux de cinéma changent un peu la donne.
Crédits Photo : Jaws VS Kraken © D. R.