Dealer : Johnny B. Bad
Après avoir coécrit Les Ardennes (2015), Jeroen Perceval revient dans les salles obscures avec un scénario imaginé cette fois-ci en solo et fait pour l’occasion ses premiers pas derrière la caméra. Avec cette histoire d’amitié âpre faussement simpliste, le comédien belge signe LE thriller made in Belgique de cette fin d’année, dénotant une nouvelle fois l’énergie cinématographique percutante du Plat Pays.
Johnny (Sverre Rous), quatorze ans, parcourt les rues d’Anvers au volant de son vélo tuné façon Harley et livre des sachets de coke à ses clients réguliers ou de passage, quand il n’est pas au foyer pour jeunes en difficulté. Entre un père inexistant et une mère artiste-peintre bipolaire (Veerle Baetens), le jeune homme rêve d’une vie meilleure. Au détour d’une entourloupe, il croise la route d’Antony (Ben Segers), acteur dépressif et drogué de renommée internationale, qui le prend sous son aile et lui offre une figure paternelle inespérée. S’ils tentent chacun de donner une nouvelle direction à leur vie, la relation bancale qui les unit va les éloigner de plus en plus de la rédemption. Jeroen Perceval dresse le portrait percutant d’un jeune en quête de modèles inspirants et rassurants, dans un environnement sans perspective. En manque d’amour, Johnny perd toute estime de lui-même et enchaîne les mauvais choix sous nos yeux impuissants. Tragique, Dealer illustre de façon brutale l’influence cruciale de l’entourage pour un enfant sans repère. Ici, Johnny se retrouve entouré d’hommes impulsifs qui semblent forts face à l’adversité. Le réalisateur écaille ensuite progressivement le vernis testostéroné de ces protagonistes adultes qui, chacun pour des raisons différentes, sont finalement des êtres bourrés de fêlures, apeurés par l’existence et les choix qu’ils ont eux-mêmes faits par le passé.
La mise en scène nocturne et stroboscopique appuie cette idée de virilité toxique par le biais de nombreuses scènes de soirées sous néons rouges et noirs (qui ne sont pas sans rappeler les films de Nicolas Winding Refn). Les modèles de Johnny, Antony, archétype d’égoïsme et de lâcheté, mais aussi Luca (Bart Hollanders), boss de Johnny et dealer cramé particulièrement flippant, tentent de se donner une consistance, et de surtout tout oublier, en se défonçant aux côtés de jolies femmes dans ces séquences crépusculaires. Jeroen Perceval parvient à tisser un parallèle entre les deux mondes dépeints, ceux de l’art et du crime, par le biais de personnages égocentriques. Les protagonistes de ces sphères, qui semblent opposés, se révèlent finalement aussi nocifs les uns que les autres. Et si le récit se repose parfois sur des axes narratifs plus prévisibles, Jeroen Perceval déjoue à plusieurs reprises nos attentes jusqu’à sa séquence finale, chargée en émotions et qui hante longtemps après son visionnage. S’il manie fort bien la caméra et son scénario, il est également un excellent directeur d’acteurs et laisse éclore dans Dealer une jeune étoile brute et authentique que nous ne sommes pas prêts d’oublier : Sverre Rous, qui livre une prestation habitée et captive à chaque plan. Engouffrés dans des abimes, les personnages de Perceval subissent la portée inéluctable des milieux dans lesquels ils évoluent, et c’est à la fois glauque et fascinant.
Réalisé par Jeroen Perceval. Avec Sverre Rous, Veerle Baetens, Bart Hollanders, Poal Cairo… Belgique. 01h44. Genre : Drame. Distributeur : Eurozoom. Sortie le 9 Novembre 2022.
Crédits Photo : © Filip Van Roe.