As Bestas : Mes Chers Voisins
Rodrigo Sorogoyen signe un nouveau thriller avec As Bestas, présenté dans la sélection Cannes Première au Festival de Cannes 2022. Après Que Dios Nos Perdone (2016), El Reino (2018) ou encore Madre (2020), le réalisateur espagnol parvient-il encore à innover dans son genre de prédilection ? Verdict ci-dessous.
Nord-Ouest de l’Espagne, de nos jours. Antoine (Denis Ménochet) et Olga (Marina Foïs), un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils pratiquent une agriculture écoresponsable et retapent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement de la bourgade. Tout semble idyllique et pourtant, leur opposition à un projet d’éoliennes va créer un grave conflit avec leurs voisins, notamment les frères Anta, Xan (Luis Zahera) et Lorenzo (Diego Anido). La tension va dès lors monter crescendo jusqu’à l’irréparable. As Bestas s’ouvre sur une séquence impressionnante de lutte d’égal à égal entre des hommes, appelés des « aloitadores », et des chevaux. Sans cordes ni cravaches, le but est d’immobiliser les bêtes pour leur raccourcir la crinière. Le ton du film est ainsi donné grâce à cette chorégraphie pleine de beauté et de violence, un affrontement bestial au corps à corps jusqu’à ce que l’un des deux l’emporte sur l’autre. Car il est en effet bel et bien question de combat dans As Bestas : celui d’un village en déclin, méfiant face aux étrangers qui viennent s’y installer. Une défiance et une colère portées par le tandem Anta, brillamment interprétés par Luis Zahera et Diego Anido, dont les regards et les silences glacent le sang autant qu’ils fascinent. L’aura brutale et imprévisible de ce duo d’antagonistes appuie l’ambivalence de leurs personnages : sans jamais approuver leur comportement, le réalisateur parvient cependant à nous faire comprendre la haine et la frustration des deux hommes, comme du reste des habitants, coincés depuis leur naissance dans ce hameau voué selon eux à disparaître et prêts à tout pour refaire leur vie ailleurs grâce au chèque promis par l’installation des éoliennes. Une aubaine inespérée bloquée par Antoine et Olga qui, en plus d’être des étrangers, ont un droit de regard sur ce projet et veulent quant à eux que la nature puisse pleinement garder ses droits au sein des montagnes.
Une bataille sans retenue s’engage alors, et Rodrigo Sorogoyen prouve une nouvelle fois sa maîtrise maligne et efficace des plans-séquences, des silences et du non verbal. Au bar du coin, sur la route commune entre les deux fermes des rivaux ou encore en pleine forêt, les confrontations entre les Anta et le couple de Français montent progressivement en pression et en agressivité sur près de trois saisons (le printemps, période du renouveau qui n’a pas lieu d’être ici, est laissé au placard). La justice, relative à chacun des personnages, se pare de contours flous et poreux : la bonté envers le village est interprétée comme un signe d’arrogance, la préservation de l’environnement au détriment d’argent comptant devient un acte naïf, l’envie d’horizons différents et d’une autre existence devient un projet égoïste. Et lorsque l’apogée de ce conflit haletant est atteint, on regrette seulement qu’As Bestas s’essouffle un temps lors de l’arrivée de la fille du couple à la ferme. Une baisse de régime due à l’interprétation sur le fil de Marie Colomb (Les Magnétiques, Laëtitia), dont on sent le manque d’aisance lors d’un plan-séquence clef de confrontation qui devient presque anecdotique par manque de justesse. Il s’agit cependant du seul bémol d’As Bestas, puisque le dernier acte du film clôt de façon plutôt douce et libératrice ce récit cruel et ample, qui poussera peut-être certains à se questionner sur la relativité de ce qui est juste.
Réalisé par Rodrigo Sorogoyen. Avec Marina Foïs, Denis Ménochet, Luis Zahera… Espagne, France. 02h17. Genres : Thriller, Drame. Distributeur : Le Pacte. Présenté dans la sélection Cannes Première au Festival de Cannes 2022. Sortie le 20 Juillet 2022.
Crédits Photo : © Lucia Faraig.