Cannes 2022 l Jour 5 – La croisière, ses muses
Il y a des jours comme ça où l’on ne prévoit de voir que quatre films. Une flemme provoquée par la fatigue de milieu de festival sûrement. Mais quels films ! Le bilan est positivement positif avec le nouveau film de ce taquin de Ruben Ostlund. Cinq ans après sa Palme d’Or en 2017 pour The Square, il nous a concocté Triangle of Sadness, qui nous emmène à bord d’une croisière de luxe pour mieux s’attaquer au capitalisme et à l’ère des influenceurs. Le Suédois invite alors un couple de mannequins en vue et quelques excentriques milliardaires russes sur un yacht commandé par un marxiste démissionnaire (le toujours génial Woody Harrelson). Cette farce boursouflée 100% assumée en rebutera plus d’un, notamment à cause d’un mémorable épisode scatologique totalement gratuit, mais j’ai été très client de cette histoire divisée en trois chapitres où des personnes bêtes comme des bâtons se prennent un mur une fois leurs privilèges envolés. La vraie révélation est l’incroyable Donna De Leon, femme de ménage aux ambitions certaines qui devrait imprimer la rétine pour un moment.
Ragaillardi par cette balade en mer, il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour me rhabiller devant Nos Cérémonies, le premier film de Simon Rieth présenté à la Semaine de la Critique. Un problème de rythme est à déplorer ici, un tempo ralenti qui, additionné au fait qu’on ne sache toujours pas où l’on va au bout d’une heure de film, a rendu la projection laborieuse. C’est dommage car cette histoire estivale, aux accents surnaturels, de deux frères unis par l’amour du sport et hantés par une vieille histoire qu’ils gardent secrète était une belle promesse sur le papier. On notera toutefois la superbe photographie aux couleurs éclatantes.
C’est également sur une histoire ancienne qu’est bâtie Traces de Tiago Guedes. Dans une petite ville du Portugal, une violente tradition païenne, abandonnée de longue date, se rappelle au mauvais souvenir d’un groupe d’individus, 25 ans après des faits traumatisants. Ce drame dévoile son jeu patiemment sans jamais perdre notre attention, grâce à une narration solide. On voit l’issue s’assombrir à mesure que l’on avance dans cette mise en scène qui a le bon goût de ne pas tout expliquer et de faire confiance aux spectateurs.
Rien n’est plus sombre en revanche que la mission que s’est donné l’assassin de Holy Spider de Ali Abbassi. Relatant un sordide fait divers, un homme surnommé le Tueur Araignée « nettoie » la ville de Mashhad de ses prostituées. La dépiction de ce fou de Dieu autoproclamé peut incommoder, car même si l’idée n’est pas d’en faire un héros, son omniprésence a quelque chose de quasi-fétichiste. Face à lui, Rahimi, une femme libre et affranchie doublée d’une journaliste opiniatre, mène l’enquête. Le réalisateur s’est d’ailleurs félicité de pouvoir enfin montrer un tel rôle à l’écran, où la femme n’est pas réduite à une fonction et ou les contraintes qu’elle a selon toute évidence eu à subir sont derrière elle. La mise en scène reste dans le créneau du simple thriller alors que le sujet lui permettait de s’autoriser plus de tension, qui aurait rendu l’expérience encore plus prenante.
Aujourd’hui, j’ai appris qu’avaler une huître sur un bateau en pleine tempête n’est, contre toute attente, pas une mauvaise idée ; j’ai aussi entendu une spectatrice se plaindre du fait qu’une fois les lumières de la salle éteintes, plus personne ne verrait sa belle robe, avant de la voir quitter la projection au bout de 15 minutes, peut-être par compassion pour sa tenue en soie. Comme quoi, à Cannes, on n’est en fait pas complètement coupé des préoccupations quotidiennes.
Crédits Photo : Holy Spider © Metropolitan FilmExport.