Frère & Sœur : Les « Drama tics »
Tandis que notre envoyé spécial Matthieu Touvet vous conte quotidiennement ses tribulations sur la Croisette, Camille Griner, restée à Paris, est allée découvrir Frère & Sœur d’Arnaud Desplechin, en compétition au Festival de Cannes 2022, lors de sa sortie en salles le 20 mai. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le visionnage s’est avéré compliqué.
Habitué du tapis rouge malgré un dernier passage oubliable avec Tromperie en 2021, Arnaud Desplechin est de retour sur la Croisette pour y présenter Frère & Sœur, un drame au casting alléchant qui renoue avec ses thèmes de prédilection : les questions familiales et la haine. Des motifs déjà largement expérimentés dans Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) (1996), Rois et Reines (2004) et Un Conte de Noël (2008), dont Frère & Sœur est censé être le chapitre final. Autant être franche, je ne suis pas une fervente admiratrice du cinéma de Desplechin. Je me souviens avoir écrit l’une de mes toutes premières critiques sur Jimmy P. en 2013 et de m’être déjà agacée à l’époque d’un fond intéressant noyé sous la surenchère de musique et de surdramatisation pour tenter de décrocher une larme aux spectateurs. Constat différent, mais sensation identique d’agacement, pour Trois Souvenirs de ma Jeunesse (2015) qui, avec ses dialogues sur-écrits mettant en péril la justesse de ses jeunes comédiens, m’avait laissée de marbre, telle une vache qui regarde les trains passer. Malheureusement pour moi, Frère & Sœur est un savant mélange des travers que je déplore dans le travail du réalisateur français.
En contant l’histoire d’un frère (Melvil Poupaud) et d’une sœur (Marion Cotillard) qui se haïssent depuis plus de vingt ans et se recroisent suite à un accident grave de leurs parents, Arnaud Desplechin retrouve ses « drama tics » d’antan pour tenter d’émouvoir coûte que coûte le spectateur : utilisation massive de musique (il me semble d’ailleurs qu’aucun plan avec Cotillard ne s’en passe), surdramatisation de séquences déjà éprouvantes toutes seules, dialogues verbeux et pompeux qui finissent par rendre chaque protagoniste caricatural… Desplechin fatigue bien plus qu’il n’émeut. C’est d’autant plus regrettable lorsque les deux premières séquences du film, à la mise en scène et au réalisme millimétrés, sont véritablement puissantes et laissent présager un récit familial brutal qui prend aux tripes. Mais non, le soufflet retombe aussi vite que la vitesse à laquelle coule un caillou dans un lac face à ce projet nombriliste au possible, qui entraîne une nouvelle fois une poignée de comédiens pourtant loin d’être novices dans sa chute. Poupaud et Cotillard pataugent courageusement dans leurs personnages aux crises égotiques frisant le ridicule et deviennent des archétypes d’antipathie auxquels on ne s’attache jamais. L’apogée de ce drama surdosé réside dans son final gênant, où chacun décide (enfin) de mettre un peu le nez dehors et de relativiser sur leurs nano drames quotidiens de façon totalement maladroite. Un dernier acte qui appuie une nouvelle fois la suspicion forte d’un certain manque de sincérité du réalisateur dans ses intentions, pour un film surfait dont le cœur se révèle finalement bien superficiel.
Réalisé par Arnaud Desplechin. Avec Marion Cotillard, Melvil Poupaud, Golshifteh Farahani… France. 01h48. Genre : Drame. Distributeur : Le Pacte. En Compétition au Festival de Cannes 2022. Sortie le 20 Mai 2022.
Crédits Photo : © Shanna Besson l Why Not Productions.